Le Parlement irakien interrogera samedi des ministres sur la crise sociale et sanitaire à Bassora, ville du Sud, où neuf manifestants ont été tués cette semaine et des bâtiments publics incendiés.
Bassora et sa province connaissent depuis début juillet plusieurs vagues de manifestations, émaillées de violences, dénonçant la corruption des politiciens et la déliquescence des services publics malgré les richesses pétrolières de la région.
«On a soif, on a faim, on est malades et abandonnés», résume Ali Hussein, un des protestataires rencontré par l'AFPTV au lendemain d'une nouvelle nuit de violences. «Manifester est un devoir sacré et tous les gens honnêtes devraient le suivre».
Dans cette région côtière, le malaise social est aggravé par une crise sanitaire : la pollution de l'eau a mené à plus de 30.000 hospitalisations.
Depuis mardi, les protestations quotidiennes émaillées d'incendies de bâtiments officiels ainsi que de sièges de partis et de groupes armés ont fait neuf morts parmi les manifestants, selon Mehdi al-Tamimi, chef du Conseil provincial des droits de l'Homme.
Les autorités ont décrété un couvre-feu jeudi soir après de nouveaux incidents.
Cette crise intervient à un moment de paralysie politique à Bagdad.
Négligence «intentionnelle»
Après un long recompte des voix des législatives de mai, le Parlement n'est pas parvenu à s'accorder sur l'élection de son président lors de sa séance inaugurale lundi. Les députés ont convenus de se retrouver le 15 septembre alors que les tractations pour une coalition capable de former un gouvernement continuent.
Le Parlement a toutefois annoncé une réunion extraordinaire samedi, au lendemain d'un appel du leader chiite Moqtada Sadr, vainqueur des législatives, aux députés afin qu'ils convoquent les ministres en charge pour qu'ils exposent des «solutions radicales et immédiates».
Quelques heures avant, trois obus s'étaient abattus sur l'ultra-sécurisée zone verte de Bagdad où se trouvent les institutions irakiennes, notamment le Parlement.
L'attaque, rare et dont les auteurs n'ont pas été identifiés, n'a fait «ni victime ni dégât», selon les autorités.
Moqtada Sadr, ancien chef de milice devenu héraut des manifestations anticorruption, avait donné jusqu'à dimanche aux ministres et députés pour se réunir. Sinon «qu'ils quittent tous leur poste», avait-il lancé.
Peu après, le Premier ministre sortant, Haider Al-Abadi, qui tente d'obtenir un second mandat en formant avec M. Sadr une coalition, s'était dit prêt à participer.
Moqtada Sadr a par ailleurs appelé à «des manifestations de colère pacifiques à Bassora», un appel qui pourrait être suivi dans d'autres villes vendredi, journée traditionnelle de mobilisation.
D'autant que dans son sermon, le représentant du grand ayatollah Ali Sistani, chef spirituel de la majorité des chiites d'Irak, a dénoncé une nouvelle fois «le mauvais comportement des hauts dirigeants». Il a appelé à ce que «le futur gouvernement soit différent de ceux qui l'ont précédé».
Usage excessif de la force
Un autre représentant de l'ayatollah Sistani, en visite à Bassora, a visité des stations de distribution d'eau ainsi que des familles des manifestants tués.
Il a constaté, selon le sermon prononcé au nom de l'ayatollah Sistani, «qu'il aurait été possible, avec un peu d'effort et d'argent (...) de diminuer grandement les effets de la crise» de l'eau, dénonçant «le manque d'expertise et d'attention de certains» responsables.
Pour M. Tamimi, «Bassora s'est soulevée en réponse à une politique gouvernementale intentionnelle de négligence».
Exaspérés d'attendre des services publics performants et le limogeage des corrompus, les habitants de la province pétrolière ont repris il y a quelques jours les manifestations lancées début juillet. Elles s'étaient essoufflées après des promesses de milliards de dollars du gouvernement.
En comptant les neuf morts enregistrés depuis mardi, la contestation sociale a fait depuis juillet 24 morts.
A Bassora, les défenseurs des droits de l'Homme accusent les forces de l'ordre d'être responsables des décès. Bagdad pointe du doigt des «vandales» infiltrés parmi les manifestants.
L'ONG de défense des droits de l'Homme Amnesty International a dénoncé un «usage excessif de la force par les forces de sécurité, dont des balles réelles», affirmant que cela avait déjà eu lieu en juillet. Son chercheur Razaw Salihy a appelé M. Abadi à tenir sa promesse d'enquêter sur ces morts et d'en «présenter les responsables devant la justice lors de procès équitables».
Déchiré par des années de violences depuis l'invasion américaine de 2003, l'Irak se remet d'une guerre contre Daesh. Malgré d'importantes recettes pétrolières --7,7 milliards de dollars en août--, le pays connaît un fort chômage et des pénuries d'eau et d'électricité.