Le gouvernement socialiste espagnol va approuver vendredi le décret permettant l'exhumation de l'ancien dictateur Franco de son mausolée, une décision qui divise en Espagne où le travail de mémoire provoque toujours une fracture politique.
Arrivé au pouvoir le 1er juin après avoir fait renverser le conservateur Mariano Rajoy par le Parlement, le chef du gouvernement Pedro Sanchez avait dévoilé ses intentions quelques jours plus tard.
«L'Espagne ne peut pas se permettre, en tant que démocratie consolidée et européenne, des symboles qui divisent les Espagnols», avait-il plaidé, en soulignant que l'existence d'un mausolée abritant la dépouille d'un ancien dictateur serait «inimaginable en Allemagne ou en Italie».
Le but du gouvernement est de mettre fin à une «anomalie démocratique», à un «mausolée de culte à un dictateur», a insisté vendredi Ander Gil, président du groupe socialiste au Sénat, «il est temps d'en finir avec des choses de ce genre».
Mausolée monumental
Franco, vainqueur de la terrible guerre civile espagnole (1936-1939) après un coup d'Etat contre la Seconde république et qui dirigea le pays d'une main de fer jusqu'à sa mort en 1975, est enterré au Valle de los Caidos (la vallée de ceux qui sont tombés) aux côtés de José Antonio Primo de Rivera, fondateur du parti fascisant de la Phalange.
Complexe monumental situé dans les montagnes à 50 kilomètres de Madrid et surplombé par une croix de 150 mètres de haut, ce mausolée abrite aussi les corps de quelque 27.000 combattants franquistes et d'environ 10.000 opposants républicains, raison pour laquelle le dictateur le présentait comme un lieu de «réconciliation».
Mais ses détracteurs le voient comme un symbole de division et de mépris pour les républicains dont les corps, extraits de fosses communes et de cimetières, y ont été transférés sans que leurs familles soient prévenues. En outre 20.000 prisonniers politiques ont participé à sa construction entre 1940 et 1959.
Selon des chiffres du Patrimoine national, organisme public gérant le mausolée, les visites y ont bondi depuis l'annonce de Sanchez : 38.269 visites en juillet contre 23.135 en juin.
Opposition de la droite et de la famille
Depuis plus de deux mois, le gouvernement, qui s'appuie sur une résolution en faveur de l'exhumation adoptée par le Parlement en 2017, travaille dans la discrétion pour trouver la formule juridique adéquate.
Son décret qui doit être adopté vendredi en conseil des ministres devra ensuite être voté par le Parlement où les socialistes pourront compter sur les voix de la gauche radicale de Podemos, des indépendantistes catalans et des nationalistes basques pour atteindre la majorité.
La solution la plus plausible serait de transférer la dépouille de Franco dans le caveau familial du cimetière du Pardo, près de Madrid. Mais la famille de l'ancien dictateur est farouchement opposée à ce qu'il quitte son mausolée.
Signe de la fracture politique dans le pays sur la mémoire de la guerre civile et du franquisme, le gouvernement se heurte aussi à un tir de barrage du Parti Populaire (PP, droite), premier parti au Parlement, qui a déjà annoncé qu'il déposerait un recours devant la Cour constitutionnelle.
«Il importe plus (à Pedro Sanchez) de ressusciter les fantômes du passé que de tenter de séduire les gens avec l'avenir. Il s'intéresse plus à rouvrir les blessures déjà cicatrisées de notre pire passé plutôt que de se concentrer sur notre meilleur présent», a dénoncé le nouveau numéro un du PP, Pablo Casado.
Au delà de l'exhumation de l'ancien dictateur, le gouvernement avait annoncé en juillet son intention de créer une «commission vérité» sur la dictature de Franco, de recenser les victimes de la guerre civile et du régime franquiste et d'annuler les décisions des «tribunaux d'exception» franquistes.