L'UE est confrontée à un sérieux problème avec la décision de l'Italie de lier le débarquement dans ses ports des migrants sauvés en Méditerranée à un partage de leur prise en charge avec d'autres Etats membres, au risque de compromettre les opérations européennes de sauvetage en mer.
«L'Italie ne veut plus être l'unique pays de débarquement des migrants sauvés en mer par les unités navales de l'opération Sophia», a fait savoir le ministre des Affaires étrangères Enzo Moavero Milanesi dans un courrier à la cheffe de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini.
Les implications de cette décision ont été discutées vendredi à Bruxelles par les ambassadeurs des Etats membres, et un grand nombre de pays ont signifié au représentant de l'Italie leur mécontentement face à une forme de chantage, ont confié à l'AFP plusieurs sources européennes.
L'Italie commande l'opération militaire européenne Sophia lancée en juin 2015 à la suite d'une série de naufrages meurtriers.
«L'opération Sophia est maintenue et continue», ont assuré vendredi soir à l'AFP trois sources européennes impliquées dans le dossier.
«Les Etats membres se sont donné cinq semaines, soit jusqu'à la fin du mois d'août, pour trouver une solution à la demande de l'Italie de ne plus être obligatoirement le pays où sont débarqués les migrants embarqués à bord des navires de l'opération», ont-elles expliqué.
«La solution sera difficile à trouver car elle pose les questions : Que faire des rescapés ? Où les débarquer, qui va les prendre en charge ?», a souligné une source diplomatique. Le risque est que les Etats engagés dans Sophia ne mettent plus de bateaux à disposition de l'opération, selon elle.
Six navires de pays de l'UE - Italie, France, Irlande, Espagne, Slovénie et Allemagne - sont actuellement engagés dans cette mission chargée de lutter contre la traite humaine et d'éviter les naufrages entre l'Italie et les côtes de Libye.
Sophia a permis de secourir en mer près de 44.000 personnes depuis son lancement en 2015, soit 10% des sauvetages enregistrés au cours des trois années, a indiqué en juillet son commandant, l'amiral italien Enrico Credentino.
Fermer les ports d'Italie
Mais le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini, patron du mouvement d'extrême droite la Ligue, est décidé à fermer les ports italiens aux navires des missions de sauvetage après les avoir interdits aux bateaux affrétés par des ONG.
L'Italie a officiellement demandé à ne plus être le seul pays de débarquement identifié dans le mandat de l'opération Sophia qui se termine à la fin de l'année.
Et le Premier ministre italien Giuseppe Conte a informé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker des conditions désormais imposées pour les débarquements en Italie des migrants sauvés en mer.
Les débarquements en Italie ne seront autorisés qu'à la seule condition que d'autres pays de l'Union européenne aient accepté de prendre en charge une partie des personnes secourues en mer, a précisé M. Conte dans une lettre à M. Juncker.
Le gouvernement populiste italien veut forcer la main à ses partenaires européens et leur impose de fait les conditions déjà imposées pour le débarquement de quelque 450 migrants assistés en mer et transbordés dans deux navires militaires.
Les navires avaient pu accoster en Sicile au cours du week-end des 14 et 15 juillet après l'engagement pris par la France, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et Malte de prendre chacun en charge une cinquantaine de rescapés.
La Libye dit non
En réponse à M. Conte, dans une missive dont l'AFP a obtenu copie, M. Juncker a expliqué que «ces solutions ad hoc ne pouvaient être durables sur le long terme».
Le chef de la Commission a toutefois accepté de poursuivre sa médiation pour trouver des volontaires pour un partage en cas d'urgence, et cela jusqu'à ce qu'une solution définitive soit trouvée pour la prise en charge des migrants recueillis en mer.
Les traversées au départ des côtes d'Afrique du Nord vers l'Italie se sont considérablement réduites et une nouvelle route vers l'Espagne est utilisée pour les passages.
Lors du dernier sommet européen fin juin à Bruxelles, les dirigeants des 28 avaient convenu de réfléchir à des «plateformes régionales de débarquement» dans des pays tiers pour les migrants secourus dans les eaux internationales.
Les autorités libyennes se sont dites vendredi «absolument contre le fait que l'Europe veuille tout à fait officiellement installer chez nous les migrants illégaux dont on ne veut pas dans l'UE». L'Egypte, la Tunisie et le Maroc ont également refusé de tels centres.
Les dirigeants de l'UE ont également évoqué la création de «centres contrôlés» sur le territoire de l'UE pour y transférer les personnes sauvées en mer.
La Commission va présenter «la semaine prochaine» des concepts pour ces centres contrôlés dans l'UE et dans les pays tiers, a précisé vendredi Natasha Bertaud, porte-parole responsable du dossier migrations.