Les propositions du Royaume-Uni sur sa relation post-Brexit avec l'UE ouvrent la voie à «une discussion constructive» mais soulèvent aussi des questions, estiment les Européens, qui pressent d'abord Londres de préciser sa stratégie sur la frontière irlandaise.
«Ce n'est pas de davantage de temps dont nous avons besoin, c'est de choix, de décisions, de clarté et de certitude juridique» du côté des Britanniques, a insisté vendredi le négociateur en chef de la Commission européenne, Michel Barnier, à l'issue d'une réunion à Bruxelles avec les Etats membres sur l'état d'avancement des négociations.
Londres et Bruxelles sont censés parvenir à un accord d'ici à octobre pour organiser leur divorce et jeter les bases de leur relation future. Mais les Européens s'inquiètent de l'état des discussions et des remises en cause constantes en interne de la stratégie de la Première ministre britannique, Theresa May.
«Il nous reste 13 semaines et notre objectif premier est de finaliser l'accord de retrait dont 80% des propositions sont déjà en vert dans le texte», a déclaré M. Barnier au cours d'une conférence de presse au siège de la Commission.
Mais l'épineux contentieux de la frontière irlandaise, le principal point d'achoppement des discussions, inquiète toujours le Français. «Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps sur cette question et c'est pourquoi nous avons invité le Royaume-Uni à travailler sur le "backstop" la semaine prochaine», a-t-il insisté.
La solution dite de «backstop» consiste en un «filet de sécurité» qui s'appliquerait, faute de meilleure solution négociée entre Londres et Bruxelles, prévoyant un alignement réglementaire de la province britannique d'Irlande du Nord sur l'Union après le Brexit, afin d'éviter le retour d'une frontière «dure» sur l'île.
M. Barnier a aussi longuement abordé le récent «Livre Blanc» sur la relation future publié par Mme May, qui propose notamment une nouvelle «zone de libre-échange» avec l'UE, reposant sur un ensemble de règles communes concernant les biens et le secteur agro-alimentaire.
L'intérêt de l'UE
«Ce Livre blanc, c'est le fruit d'un très intense débat interne au Royaume-Uni, qui était nécessaire», a estimé M. Barnier, reconnaissant que «plusieurs éléments» ouvraient la voie à «une discussion constructive».
«La proposition d'un accord de libre-échange» devrait «constituer le cœur de notre future relation économique», a plaidé M. Barnier.
Mais le négociateur européen s'est aussi interrogé sur le fait de savoir si cette proposition était «opérationnelle», «dans l'intérêt de l'UE» et «compatible avec les principes» de négociation posés par les Européens.
En ce qui concerne le respect des lignes directrices européennes, M. Barnier se demande si la proposition britannique respecte «l'intégrité du marché intérieur, de l'Union douanière et de la politique commerciale commune». «Notre responsabilité, c'est bien de protéger le marché intérieur de l'UE» et «les consommateurs», a-t-il rappelé.
Sur un deuxième point, celui de savoir si les idées de Londres sont «opérationnelles», le négociateur de l'UE a souligné leur complexité, notamment dans le domaine douanier, le Royaume-Uni proposant d'appliquer deux tarifs pour les biens à la frontière selon qu'ils sont destinés à son marché ou à l'UE.
«Comment les services douaniers pourraient-ils vérifier la destination finale du bien ? N'y a-t-il pas un risque majeur de fraude ?», s'est-il interrogé, mettant aussi en garde contre «une bureaucratie additionnelle». «Comment l'Union pourrait déléguer l'application des règles douanières a un pays qui n'est plus membre de l'Union ?», a lancé le négociateur.
Enfin, il s'est demandé, sans entrer dans les détails, si les propositions britanniques étaient dans l'intérêt économique de l'UE.
Mme May a estimé vendredi lors d'un déplacement à Belfast que son livre blanc constituait «un développement significatif» de la position britannique et «un ensemble cohérent». «C'est maintenant à l'UE de réagir. Et pas simplement de se rabattre sur des positions antérieures qui se sont déjà avérées irréalisables», a-t-elle argué.
Bruxelles avait appelé jeudi les Etats membres à «intensifier» leur préparation à tous les scénarios possibles pour le Brexit, dont celui d'une «rupture brutale» avec Londres, de plus en plus redoutée face aux incessantes turbulences politiques fragilisant le gouvernement britannique.