Le président turc Recep Tayyip Erdogan, briguant un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés, et son challenger Muharrem Ince, qui incarne les espoirs de l'opposition, ont battu le rappel de leurs soutiens samedi lors d'ultimes meetings à Istanbul à la veille d'élections cruciales.
Les deux formidables orateurs ont achevé une campagne électorale dynamisée par leur rivalité en haranguant des foules rassemblées à Istanbul, la plus grande ville du pays dont le vote est considéré comme déterminant pour l'issue des élections présidentielle et législatives de dimanche.
Sans doute échaudé par la victoire du «non» à Istanbul lors du référendum sur le renforcement des pouvoirs présidentiels qu'il a étroitement remporté l'année dernière, M. Erdogan a multiplié les meetings dans la ville depuis le début de la campagne, qu'il a close samedi avec pas moins de cinq discours dans différents quartiers.
M. Ince, candidat du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), a opté pour un seul grand meeting auquel ont assisté des centaines de milliers de personnes. Sans doute emporté par l'euphorie après des rassemblements monstres à Izmir (ouest) et Ankara ces deux derniers jours, Il s'est targué de la présence de «cinq millions» de personnes à Istanbul, un chiffre impossible à vérifier.
Le candidat du CHP, 54 ans, a dressé samedi un portrait sombre de la Turquie en cas de victoire du président sortant, avec une monnaie faible, des prix élevés, et la question des plus de 3,5 millions de réfugiés syriens non-résolue.
«Les discriminations prendront fin»
«Mais si Ince l'emporte, (...) 80 millions de personnes l'emportent, la Turquie l'emporte», a-t-il clamé, parlant de lui à la troisième personne.
Il a exhorté ses partisans à rester mobilisés «pendant 36 heures» pour s'assurer que le vote et le dépouillement des bulletins se déroulent sans fraudes.
«Demain nous aurons une Turquie complètement différente. Demain, les discriminations prendront fin», a-t-il tonné, promettant pèle-mêle de relancer le processus d'adhésion à l'Union européenne qui s'est enlisé sous la présidence d'Erdogan, et d'abolir le Passolig, une carte d'identification indispensable pour assister aux matches de football, décriée par les supporteurs.
«Nous sommes pour les droits, la loi et la justice. Je le soutiens (Ince) car il est naturel, honnête et humain», a dit à l'AFP Cennet Sahin, une supportrice présente dans la foule.
Affichant sa confiance en dépit de l'élan qui semble porter son concurrent, M. Erdogan, 64 ans et au pouvoir depuis 2003, a assuré devant ses partisans : «Si Dieu le veut, demain soir nous nous réjouirons ensemble.»
«Nous sommes un Etat de droit», a-t-il lancé à l'adresse de M. Ince, le tançant pour avoir évoqué un risque de fraudes.
Il a aussi tourné en dérision le manque d'expérience de gouvernement de M. Ince, un ancien professeur de physique, pourtant député depuis 16 ans.
«Etre prof de physique est une chose, gérer un pays en est une autre», a-t-il ricané. «Etre président requiert de l'expérience, requiert une reconnaissance de la communauté internationale.»
Certaines chaînes ont diffusé en simultané, avec un écran partagé en deux, les meetings de chacun samedi, basculant d'un discours à l'autre. La chaîne publique TRT n'a toutefois pas diffusé la moindre seconde du discours de M. Ince.
Sécurité renforcée
Face à la mainmise du gouvernement sur les principaux médias, les candidats et partis de l'opposition se sont élevés depuis le début de la campagne contre une couverture médiatique qu'ils jugent inéquitable.
Outre MM. Erdogan et Ince, quatre candidats briguent la présidence lors du scrutin de dimanche, dont la cheffe de nouveau parti de droite nationaliste Iyi, Meral Aksener, et le dirigeant kurde emprisonné Selahattin Demirtas.
Si le président sortant semble être le favori de la présidentielle, il pourrait selon de nombreux observateurs ne pas obtenir les plus de 50% des voix nécessaires pour l'emporter dès le premier tour et son parti, l'AKP, pourrait perdre sa majorité au parlement.
Pour assurer le bon déroulement des élections, un important dispositif de sécurité doit être déployé à travers le pays. A Istanbul seul, plus de 38.000 policiers seront de service.
La police turque avait annoncé vendredi l’arrestation de 14 étrangers liés au groupe jihadiste Daesh soupçonnés de planifier une attaque pour perturber les élections.