La ville de Masaya au Nicaragua, auto-déclarée en rébellion, résistait mercredi à l'offensive des forces du gouvernement de Daniel Ortega, confronté à une vague de contestation qui a fait près de 190 morts en deux mois.
L'assaut, lancé mardi matin, a provoqué au moins trois morts dans cette commune de 100.000 habitants, située à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale Managua, et devenue ces derniers jours l'épicentre des violences au Nicaragua.
Durant la nuit, les habitants ont installé de nouvelles barricades dans plusieurs quartiers de la ville, tandis que dans le centre, des camionnettes circulaient avec des hommes armés, ont rapporté des témoins.
Ailleurs dans le pays, des fusillades et des attaques à main armée ont été signalées par la population dans les villes de Jinotepe, Leon, Matagalpa et Esteli.
«Ce sont des situations de violence extrême où les limites sont déjà dépassées, et en réalité nous nous trouvons totalement sans défense», a dénoncé à l'AFP Marlin Sierra, directrice exécutive du Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh), qui a dénombré 186 morts et plus de 1.000 blessés en deux mois.
Masaya, ville connue historiquement pour sa combativité, s'était déclarée lundi en rébellion afin d'exiger le départ du président Daniel Ortega, un ex-guérillero de 72 ans au pouvoir depuis 2007 après l'avoir déjà été de 1979 à 1990.
«Vers une guerre civile»
Dès le lendemain, des agents anti-émeutes et des groupes paramilitaires sont arrivés dans la commune, fortement armés, vêtus de noir et encagoulés.
Les agents anti-émeutes sont entrés dans Masaya pour laisser des munitions et des vivres à la police locale, retranchée dans ses locaux, et ont enlevé des barricades. Mais, selon le prêtre du quartier Monimbo, Augusto Gutiérrez, les habitants ont gardé le contrôle sur une partie de la ville.
Dénonçant le soulèvement populaire contre le gouvernement, la vice-présidente Rosario Murillo, épouse du président Ortega, a prévenu que ce dernier est «déterminé à freiner cette vague terroriste, de crimes haineux, d'enlèvements, de menaces et d'intimidation».
Marlin Sierra, du Cenidh, s'est dite inquiète de cette attitude : «la tendance est vers un approfondissement de la crise. Nous sommes très préoccupés car nous voyons qu'il y a une volonté politique de l'Etat de pousser vers une guerre civile».
L'assaut sur Masaya est survenu au lendemain de la suspension par la Conférence épiscopale du dialogue entre les deux parties, qui devaient aborder l'organisation d'élections générales anticipées en mars 2019 (au lieu de fin 2021) et les réformes du système judiciaire dans ce pays, le plus pauvre d'Amérique centrale.
L'Eglise, en tant que médiatrice, exige tout comme l'opposition que le gouvernement tienne ses engagements et invite «d'urgence» les organisations internationales de défense des droits de l'homme à enquêter sur les violences commises, conformément à un accord conclu vendredi dernier.
«Ce gouvernement doit montrer de la volonté politique», a estimé l'évêque auxiliaire de Managua, Silvio Baez. «Ceci n'est pas un jeu, c'est quelque chose de sérieux pour l'avenir du Nicaragua. Ici, on ne peut continuer à assassiner plus de gens».
Condamnation internationale
«Les États-Unis condamnent les actes de violence et d'intimidation commandités par le gouvernement», a déclaré le département d'État américain dans un communiqué rendant compte du voyage à Managua mardi de Carlos Trujillo, représentant de Donald Trump auprès de l'Organisation des États américains (OEA).
Ce dernier doit rencontrer mercredi le président Ortega.
Selon le leader étudiant Lesther Aleman, M. Trujillo «a déjà toutes les informations sur les attaques à Masaya, à Managua, à Jinotepe» ainsi que dans d'autres villes du pays.
«L'identité des coupables est très claire et nous attendons la réunion qu'il aura avec le génocidaire», a-t-il ajouté, en référence au chef de l'Etat.
Les manifestations au Nicaragua ont démarré le 18 avril, au départ contre une réforme de la sécurité sociale - depuis abandonnée - avant de devenir un vaste mouvement pour réclamer plus de libertés et exiger le départ du président Ortega.
Ces dernières semaines le Parlement européen, Amnesty international, l'ONU ou encore la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) ont dénoncé la répression exercée par les forces de l'ordre.