Les autorités ukrainiennes justifiaient leur «opération spéciale» autour de la «mort» et de la «résurrection» du journaliste russe critique du Kremlin Arkadi Babtchenko en invoquant un complot fomenté par la Russie, qui crie elle à la «provocation».
Après 24 heures d'indignation, Kiev a révélé mercredi que le pseudo assassinat du journaliste n'était qu'une mise en scène de l'Ukraine destinée selon elle à déjouer le meurtre du journaliste, voire celui d'autres personnes, commandité par Moscou.
Le chef des Services de sécurité ukrainiens (SBU), Vassyl Grytsak, a affirmé qu'un Ukrainien recruté par les «services de sécurité russes» et présenté comme l'«organisateur» avait été arrêté. Les autorités n'ont toutefois fourni aucune information sur son identité.
Cet homme devait ensuite préparer les assassinats d'une trentaine d'autres personnes, essentiellement des Russes exilés en Ukraine, a affirmé M. Grytsak.
Un conseiller du ministre de l'Intérieur, le député Anton Guerachtchenko, a affirmé sur Facebook que cette mise en scène violente était nécessaire pour «remonter et documenter toute la chaîne, du tueur à gages aux organisateurs et aux commanditaires», en les persuadant que «la commande a bien été exécutée».
«Sherlock Holmes a utilisé avec succès la méthode de la mise en scène de sa propre mort pour élucider efficacement des crimes compliqués», a-t-il ajouté.
Le président ukrainien Petro Porochenko a rencontré dans la soirée M. Babtchenko et l'a remercié d'«avoir empêché avec les services de sécurité ukrainiens» le déroulement d'un scénario «visant à déstabiliser la situation en Ukraine», selon une vidéo diffusée par son service de presse.
Le SBU a assuré que sa famille était au courant de l'opération.
Vive émotion
De son côté, le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé une «nouvelle provocation antirusse».
L'annonce de la mort d'Arkadi Babtchenko avait provoqué une vive émotion en Ukraine et en Russie.
Le Premier ministre ukrainien Volodymyr Groïsman avait aussitôt mis en cause «la machine totalitaire russe», déclenchant des démentis de Moscou.
M. Babtchenko se disait menacé après avoir dénoncé le rôle de la Russie dans le conflit dans l'est de l'Ukraine.
Après une matinée d'accusations réciproques, les attentes étaient fortes lorsque le SBU a convoqué la presse.
«Je voudrais féliciter la famille d'Arkadi Babtchenko et Arkadi Babtchenko lui-même», a rapidement lancé le chef du SBU, Vassyl Grytsak.
Arkadi Babtchenko est alors entré dans la pièce, sous les applaudissements et les cris d'incrédulité de ses confrères.
Face aux caméras, en pull à capuche sombre, le journaliste a expliqué avoir participé à une mise en scène dans le cadre d'une «opération spéciale» préparée depuis deux mois.
«Je voudrais vraiment remercier les Services de sécurité ukrainiens de m'avoir sauvé la vie», a-t-il déclaré.
Simulation «navrante»
Le SBU avait affirmé la veille qu'Arkadi Babtchenko, qui a servi dans l'armée russe dans les deux guerres en Tchétchénie avant de devenir journaliste, très critique de la politique de Vladimir Poutine, avait été assassiné de plusieurs balles à la porte de son appartement à Kiev, où il s'était exilé, craignant pour sa vie.
Ce revirement spectaculaire de situation a été accueilli avec un immense soulagement par des dizaines de journalistes rassemblés mercredi soir sur la place centrale de Kiev, à la mesure de l'émoi provoqué par l'annonce de l'assassinat la veille.
«C'est une histoire incroyable de résurrection», a ironisé le journaliste russe Pavel Kanygine, ajoutant qu'il «se préparait aux obsèques» comme ses confrères russes avec lesquels il avait accouru à Kiev mercredi.
En juillet 2016, le journaliste russo-bélarusse Pavel Cheremet avait déjà péri dans l'explosion d'une bombe placée sous sa voiture à Kiev, une affaire qui n'est toujours pas élucidée. En mars 2017, c'était un ancien député russe réfugié en Ukraine qui avait été abattu dans le centre de Kiev.
A l'annonce de l'assassinat d'Arkadi Babtchenko, l'UE avait appelé à une enquête rapide pour en punir les responsables. Elle s'est déclarée dans la soirée «soulagée», demandant toutefois «plus de détails» à Kiev sur cette opération.
L'ONG Reporters Sans Frontières (RSF) a condamné une simulation «navrante» et «une nouvelle étape dans la guerre de l'information» entre Kiev et Moscou.
Arkadi Babtchenko a raconté les guerres en Tchétchénie, une petite république russe du Caucase, dans un livre édité en France par Gallimard sous le nom de «La couleur de la guerre».
Avant son départ de Moscou, il a notamment coopéré avec le journal Novaïa Gazeta et la radio Echo de Moscou, deux médias critiques du Kremlin.
Arkadi Babtchenko a fait des reportages dans l'est de l'Ukraine, où le conflit entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses a fait plus de 10.000 morts en quatre ans. Il a dénoncé le rôle de Moscou, appuyant la thèse de Kiev et des Occidentaux selon laquelle la Russie soutient militairement les rebelles, ce qu'elle dément.
Le journaliste a quitté la Russie en février 2017, dénonçant un «harcèlement». Il a d'abord vécu en République tchèque et en Israël, avant de s'installer à Kiev où il anime une émission de télévision.