Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a appelé jeudi à une «enquête substantielle et responsable» sur l'empoisonnement de l'ex-espion russe Sergueï Skripal, avertissant que Londres ne pourrait «ignorer les questions légitimes» posées par la Russie.
«Il ne sera pas possible d'ignorer les questions légitimes que nous posons, comme l'a confirmé la conférence de l'OIAC convoquée par la Russie», a-t-il déclaré lors d'un discours à Moscou au lendemain d'une réunion de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) et à quelques heures d'une réunion du Conseil de Sécurité de l'ONU sur ce dossier à l'origine de vives tensions Est-Ouest.
La Russie, qui n'est pas parvenue à convaincre l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) de l'inclure dans l'enquête sur l'empoisonnement de l'ex-espion russe Sergueï Skripal, porte jeudi le dossier devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
L'ambassadeur russe auprès des Nations unies, Vassily Nebenzia, a annoncé que la Russie avait demandé une réunion publique du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'affaire Skripal jeudi à 15h heure locale (19h GMT).
La Russie souhaite spécifiquement, a dit M. Nebenzia, que la réunion porte «sur la lettre de la Première ministre britannique Theresa May» accusant la Russie de l'empoisonnement de l'ex-espion Skripal et de sa fille Ioulia.
Moscou nie catégoriquement toute implication dans cette affaire et dénonce «une provocation» occidentale et «une campagne antirusse».
Le Conseil avait déjà tenu le 14 mars une réunion d'urgence sur ce dossier, cette fois à l'initiative du Royaume-Uni.
Devant l'OIAC, la Grande-Bretagne a maintenu mercredi ses accusations contre la Russie, qu'elle tient pour responsable de l'attaque commise à l'aide d'un agent neurotoxique le 4 mars à Salisbury, dans le sud-ouest de l'Angleterre.
Les représentants des 41 Etats membres du Conseil exécutif de l'OIAC étaient réunis à huis clos au siège de l'organisation à La Haye pour évoquer cette affaire qui est à l'origine des pires tensions Est-Ouest depuis la Guerre froide et d'une vague sans précédent d'expulsions croisées de diplomates.
Dans une ambiance tendue, la Russie, qui avait demandé la convocation de la réunion, n'a pas pu obtenir de l'OIAC qu'elle l'inclue dans l'enquête sur l'empoisonnement des Skripal.
L'ambassadeur russe auprès de l'OIAC, Alexandre Choulguine, avait proposé que la Russie mène une enquête conjointe avec la Grande-Bretagne, sous la médiation de l'OIAC.
«Les masques sont tombés»
Mais la proposition russe, présentée conjointement avec l'Iran et la Chine, a été qualifiée d'emblée de «perverse» et de «tentative de diversion» par la délégation britannique, et rejetée lors du vote de l'OIAC.
«Malheureusement, nous n'avons pas pu recueillir deux tiers des voix en faveur de cette motion. Une majorité qualifiée était nécessaire», a déclaré M. Choulguine lors d'une conférence de presse.
«Les masques sont tombés», a-t-il lancé, indiquant que Londres et Washington avaient voté contre la proposition russe ainsi que, «docilement et tenus par la discipline de l'UE et de l'Otan», les Etats membres de ces deux organisations et «quelques alliés des Etats-Unis en Asie».
«Il faut noter que 23 pays ont refusé de s'associer au point de vue occidental: soit ils ont voté pour notre projet, soit ils se sont abstenus», a souligné l'ambassadeur russe.
Des sources diplomatiques ont indiqué à l'AFP que six pays avaient voté en faveur de la proposition russe, 15 contre et que 17 s'étaient abstenus.
A Ankara, où il participait à un sommet sur la Syrie avec ses homologues turc et iranien, le président russe Vladimir Poutine a dit espérer «que le bon sens l'emporte et qu'on arrête d'infliger cet immense préjudice aux relations internationales».
Quelques jours après l'empoisonnement, Theresa May l'avait attribué à Moscou, estimant qu'il s'agissait de «la seule explication plausible».
La Russie, qui clame son innocence depuis le début, s'estime renforcée par les déclarations du laboratoire spécialisé britannique qui a analysé la substance utilisée contre l'ex-espion.
Ce laboratoire situé à Porton Down, près de Salisbury, l'a identifiée comme étant du Novitchok, un agent innervant de type militaire de conception soviétique.
Mais il a reconnu ne pas avoir de preuve que la substance utilisée contre les Skripal ait été fabriquée en Russie, alors que le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson avait paru dire le contraire.
«Grossièrement fabriquée»
Le chef du renseignement extérieur russe Sergueï Narychkine a explicitement mercredi accusé les Occidentaux de manipulation, affirmant que l'affaire Skripal avait été «grossièrement fabriquée par les services spéciaux de Grande-Bretagne et des Etats-Unis».
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déjà déclaré lundi que l'empoisonnement «pouvait être dans l'intérêt du gouvernement britannique» pour détourner l'attention de la population du Brexit.
Le chef du laboratoire chimique du ministère russe de la Défense, Igor Rybaltchenko, a affirmé, selon l'agence russe Interfax, que «n’importe quel laboratoire moderne» pouvait produire le type de substance utilisé.
«Il n’existe aucun marqueur unique qui permettrait de désigner un pays comme ayant préparé la substance utilisée», a-t-il assuré.
M. Poutine avait déjà relevé qu'une substance comme celle utilisée à Salisbury pouvait être fabriquée «dans une vingtaine de pays du monde».
Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Ioulia, 33 ans, étaient toujours hospitalisés mardi. L'état de santé de cette dernière «s'améliore rapidement», elle «n'est plus dans un état critique», contrairement à son père, qui est dans un état «stable», selon l'hôpital.