Les dirigeants européens ont fait le constat vendredi de leurs divisions sur les choix budgétaires auxquels ils seront confrontés après 2020, quand les recettes seront grevées par le départ du Royaume-Uni.
Cette «première discussion politique», en amont des propositions officielles que doit publier la Commission européenne début mai, a été «moins conflictuelle que je n'avais pensé», a toutefois estimé Jean-Claude Juncker, le chef de l'exécutif européen, à l'issue de la rencontre.
L'UE est confrontée à une double difficulté. Elle doit faire face à des défis inédits et coûteux en matière de protection des frontières, de défense ou de migration. Et doit les financer alors que le budget de l'UE va perdre avec le Brexit l'un de ses principaux contributeurs, à hauteur de plus de 10 milliards d'euros par an.
«S'il n'y a pas d'argent dans la maison, l'amour s'envole par la porte», a lancé malicieusement M. Juncker.
«Tous les dirigeants sont prêts à travailler à la modernisation du budget et de ses programmes. Et beaucoup sont prêts à contribuer plus au budget après 2020», a assuré Donald Tusk, le président du Conseil européen, instance qui regroupe les dirigeants de l'UE.
L'Allemagne d'Angela Merkel s'y engage dans l'accord de coalition du futur gouvernement. Le français Emmanuel Macron a de son côté assuré que la France était «prête à ce que nous ayons un budget européen en expansion».
A l'inverse, plusieurs pays, tous des contributeurs nets (donnant plus qu'ils ne reçoivent) ont prévenu qu'ils refuseraient de payer plus, comme les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou l'Autriche.
Le budget pluriannuel de l'UE fixe des plafonds de dépenses sur plusieurs années: le cadre actuel, qui court de 2014 à 2020, prévoit ainsi des engagements autour de 1.000 milliards d'euros.
Des choix à faire
Il faudra faire des choix, a prévenu Bruxelles. L'essentiel du budget de l'UE -environ 70%- est pour l'instant consacré aux piliers historiques que sont la politique de cohésion, pour permettre aux régions les plus pauvres de rattraper leur retard, et la politique agricole commune (PAC).
Le Brexit et l'émergence de nouvelles priorités «ne doivent en aucun cas conduire à un écrasement des politiques historiques» de l'UE, a fait valoir Emmanuel Macron.
A la surprise de Donald Tusk, le débat sur la conditionnalité, un mécanisme qui lierait par exemple le respect des valeurs démocratiques de l'UE ou l'accueil de réfugiés au versement de fonds européens, n'a pas donné lieu à une forte controverse.
«La seule chose, c'est que cela doit être construit sur des critères objectifs», a-t-il souligné. Ce qui promet d'être difficile à traduire dans un langage juridique.
Offensif sur ce sujet, M. Macron a estimé que le budget européen ne devait «plus servir à financer des gouvernements qui ne respectent pas les droits fondamentaux tels qu'ils figurent dans nos traités», ni «à financer des politiques dont la stratégie est d'organiser du dumping fiscal ou social».
«Cela n'est pas forcément à voir de facon négative, cela peut être vu de facon positive», a noté de son côté Angela Merkel, qui a défendu l'idée que les pays faisant davantage pour accueillir des réfugiés devaient recevoir des fonds européens en conséquence.
«Spitzenkandidat»
Le départ du Royaume-Uni soulève plus généralement un débat institutionnel au sein de l'UE, à l'approche des élections européennes de 2019, qui seront suivies de la formation d'une nouvelle Commission européenne.
Les 27 ont apporté leur soutien à une nouvelle répartition au sein du Parlement européen, après le départ des 73 eurodéputés britanniques, qui réduirait le nombre total de sièges de 751 à 705. La recomposition de l'hémicycle sera officiellement adoptée en juin.
Ils ont par ailleurs refusé de se restreindre dans leur choix du futur candidat à la présidence de la Commission européenne, qu'ils soumettront au vote des eurodéputés pour succéder à Jean-Claude Juncker à l'automne 2019.
«Le Traité est très clair sur la compétence autonome du Conseil européen», a asséné Donald Tusk, réponse directe à la récente mise en garde du Parlement européen.
Ce dernier exige que le candidat que les dirigeants choisiront soit une «tête de liste» sélectionnée par les partis politiques européens (ou «Spitzenkandidat» selon le terme allemand qui s'est imposé dans les institutions).
Le candidat sélectionné par le Conseil doit ensuite recueillir une majorité de suffrage de la part des eurodéputés, a rappelé M. Juncker. «Ce qui en termes démocratiques traduit tout de même une hiérarchie qu'il ne faudrait pas que nous oublions trop rapidement», a-t-il ajouté, estimant que la procédure avait bien fonctionné pour lui en 2014.