La justice luxembourgeoise a annulé jeudi la condamnation à une peine de prison avec sursis du Français Antoine Deltour, un lanceur d'alerte à l'origine du scandale des Luxleaks, qui a mis à nu l'optimisation fiscale à grande échelle des multinationales via le Grand-Duché.
La Cour de cassation a en revanche rejeté le pourvoi de son compatriote Raphaël Halet, lui aussi condamné en mars 2017 en appel.
Antoine Deltour s'était vu infliger en appel six mois d'emprisonnement avec sursis et 1.500 euros d'amende, tandis que Raphaël Halet avait écopé d'une simple amende de 1.000 euros.
La cour d'appel du Luxembourg avait par ailleurs confirmé en 2017 l'acquittement du journaliste français Edouard Perrin, auquel les deux hommes avaient communiqué des documents fiscaux confidentiels soustraits à leur employeur à Luxembourg, la société PricewaterhouseCoopers (PwC).
Antoine Deltour et Raphaël Halet étaient poursuivis pour avoir copié des documents internes au cabinet PwC Luxembourg, permettant la révélation d'accords fiscaux liant de nombreuses multinationales avec l'Administration des contributions directes luxembourgeoise.
Concernant M. Deltour, la cour d'appel avait reconnu en mars 2017 qu'il remplissait les critères du «lanceur d'alerte» tels que posés par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour la remise des documents de son employeur à la presse.
Mais elle avait néanmoins estimé qu'il n'était pas protégé par ce statut concernant l'appropriation des documents. Car à ce moment là, faisait valoir la cour d'appel, il n'avait pas encore l'intention de «lancer l'alerte».
La Cour de cassation a rejeté ce raisonnement, jugeant que «la reconnaissance du statut de lanceur d'alerte ne peut être basée que sur une appréciation des faits dans leur ensemble» et doit «s'appliquer en principe à toutes les infractions du chef desquelles une personne est poursuivie».
Elle a en revanche rejeté le pourvoi de M. Deltour concernant des documents téléchargés sur la formation interne dans son entreprise «et qui n'ont fait l'objet d’aucune divulgation».
«Une victoire»
«Cette décision est un pas considérable dans la protection des lanceurs d'alerte en Europe», a réagi William Bourdon, l'avocat français de M. Deltour, estimant qu'il s'agissait de «la première fois» qu'une «juridiction suprême d’un pays européen consacre la jurisprudence de la CEDH en faveur des lanceurs d'alerte».
«La Cour reconnaît qu'il était parfaitement justifié, en qualité de lanceur d'alerte, de saisir et de remettre les documents sur les +tax rulings+ à un journaliste", a ajouté Me Bourdon.
«Aujourd'hui, c'est une victoire», s'est aussi félicité M. Deltour. Le Français va désormais bénéficier d'un nouveau procès devant une cour d'appel. Les «juges apprécieront dans quelle mesure Antoine Deltour devra être sanctionné pour s'être approprié les documents de formation interne».
Mais «ni le statut de lanceur d'alerte accordé à Antoine Deltour, ni son appropriation des documents concernant les rescrits fiscaux ne seront remis en question», a insisté la Cour de cassation.
Le pourvoi de Raphaël Halet a de son côté été rejeté en totalité, la Cour de cassation estimant que sa divulgation de déclarations fiscales ne fournissait «aucune information jusqu'alors inconnue pouvant relancer ou nourrir le débat sur l'évasion fiscale».
«Ça sera vraiment aux juges de la CEDH de décider si je suis un lanceur d'alerte ou pas», a commenté M. Halet à l'issue de l'audience, annonçant qu'il allait saisir la juridiction de Strasbourg.
«On veut aller jusqu'au bout parce qu'on estime qu'on a le droit européen et la morale pour nous», a-t-il ajouté.
Les deux hommes avaient soustrait des milliers de documents fiscaux confidentiels à la société de conseil PwC, détaillant les accords passés avec le fisc luxembourgeois pour le compte de grandes entreprises.
Les fichiers avaient été dérobés par Antoine Deltour le 13 octobre 2010 avant de quitter la firme et par Raphaël Halet après le premier reportage en 2012, alors qu'il était en contact avec Edouard Perrin.
Ils avaient communiqué les documents à ce membre du consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), l'organisation à l'origine des révélations du 5 novembre 2014 dites «LuxLeaks».
M. Perrin avait utilisé ces documents pour réaliser deux reportages diffusés en 2012 et 2013 sur France 2. Poursuivi pour complicité, il avait été acquitté en première instance, un acquittement confirmé en appel.
Plusieurs ONG avaient dénoncé les peines «scandaleuses et inquiétantes» qui avaient été décidées en 2017 contre les deux anciens employés de PwC.