«Qui peut nous dire ce qui est arrivé au tableau disparu, où peut-on le retrouver ?» L'affichette trône à côté d'une photo de La table blessée, le plus grand tableau que l'artiste mexicaine Frida Kahlo ait jamais peint, un chef-d'oeuvre surréaliste mystérieusement disparu en 1955 à Varsovie.
Ines et Joana Cavaco, deux jeunes Portugaises, ont fait une nuit de bus pour venir voir l'exposition consacrée à Kahlo et à son compatriote et mari Diego Rivera, présentée à Poznan (ouest de la Pologne) jusqu'au 21 janvier.
On y découvre une réplique grandeur nature de 2,44 m sur 1,21 m, en noir et blanc, de la toile manquante : un double auto-portrait figurant l'artiste assise derrière une table tâchée de sang, entre un Judas et un squelette, un tableau faisant penser à la Cène.
Près de l'affichette en forme d'avis de recherche, une petite boite à idées invite les visiteurs de l'exposition à «entrer dans l'Histoire» en suggérant des pistes pour retrouver le chef-d'oeuvre volatilisé.
«J'ai écrit que probablement le tableau a été détruit, ou il a été volé et vendu sur le marché noir», déclare à l'AFP Ines Cavaco, 21 ans, étudiante à Cracovie.
«C'est évident : il est accroché chez quelqu'un dans son salon», estime sa soeur Joana, 23 ans, une grande fan de Kahlo qui comme elle porte une coiffure parée de fleurs.
L'exposition «Frida Kahlo et Diego Rivera : le contexte polonais» au centre culturel ZAMEK, un château construit pour l'empereur Guillaume II et destiné plus tard à Hitler, retrace les liens peu connus de ce célèbre couple d'artistes avec la Pologne.
Leurs tableaux sont accrochés aux murs d'un jaune qui rappelle la palette flamboyante de Kahlo et sa joie de vivre, gardée malgré des problèmes de santé et en dépit des aventures amoureuses de son époux Rivera.
Deux salles sont consacrées à deux autres artistes d'origine polonaise et proches du couple : la photographe Bernice Kolko, qui a notamment pris Kahlo sur son lit de mort en 1954, et la peintre muraliste Fanny Rabel, une de ses quatre élèves les plus dévouées.
La Cène
Une autre salle rappelle l'exposition sur l'art mexicain présentée à Varsovie en 1955, dernier endroit où fut montrée La table blessée.
«Il doit être quelque part. Il n'a pas pu juste disparaître, un tableau si grand. A moins qu'ils l'aient brûlé dans un poêle dans les années 1950 ...», a déclaré à l'AFP Helga Prignitz-Poda, la commissaire de l'exposition Kahlo et Rivera.
«C'est une des raisons pour lesquelles j'ai fait cette exposition. Peut-être qu'un jour quelqu'un en Pologne a vu ce tableau quelque part», a-t-elle ajouté.
Frida Kahlo, connue pour son mono-sourcil, ses jupes longues et ses bijoux lourds, avait créé La table blessée pour l'exposition internationale du surréalisme organisée en 1940 à Mexico.
Puis l'oeuvre a été accrochée dans sa maison, avant que l'artiste ne l'offre à l'URSS par amour du communisme.
Mais, envoyée à Varsovie pour une exposition sur l'art mexicain qui a tourné ensuite dans plusieurs pays socialistes, elle a disparu dans la capitale polonaise, peut-être à cause de son caractère : La table blessée offrait une «représentation surréaliste absolument cruelle de la double Frida» qui allait à l'encontre du style réaliste socialiste.
Cette toile est aujourd'hui considérée comme un chef-d'oeuvre, estimé à 20 millions de dollars.
A l'époque, «il y a eu des déclarations officielles selon lesquelles ce tableau n'était pas exposable, qu'il était tellement terrible, qu'il ne valait pas l'argent dépensé pour son transport. Il est possible que les propriétaires russes n'aient pas voulu le récupérer», estime la responsable de l'exposition.
Chez Poutine ?
Sa disparition est d'autant plus frustrante que seule la moitié des quelque 300 oeuvres de Kahlo est connue du public, les autres ont été détruites, perdues ou se trouvent dans des collections qui ne les prêtent jamais, relève Mme Prignitz-Poda, qui leur a consacré un livre.
Krzysztof Najbor, un acteur de 56 ans de Zakopane (sud), a fait 600 kilomètres pour admirer l'exposition. «Je suis heureux d'avoir pu voir un peu de cette légende en original. Le Mexique, c'est loin», déclare-t-il à l'AFP.
Dans sa famille, raconte-t-il, il y a une tradition : «Lorsqu'on quitte une galerie d'art, on se demande toujours ce qu'on aurait emporté. Là, il y avait un petit autoportrait de Frida que j'ai beaucoup aimé ...»
Si l'auto-portrait, lui, est toujours là, La table blessée manque résolument à l'appel ... malgré de nombreuses suggestions trouvées dans la boite à idées.
«Les gens écrivent toutes sortes de choses drôles. Que la table est à l'hôpital, parce qu'elle est blessée, ou bien qu'elle est chez Poutine, ou chez eux sous le tapis. Des enfants dessinent des cartes au trésor», raconte Anna Hryniewiecka, la directrice du centre culturel ZAMEK.
Aucun indice viable mais un petit espoir : un mural de Rivera, «Glorieuse Victoire», également disparu dans les années 1950, a été retrouvé en 2000 dans les entrepôts du musée Pouchkine à Moscou.