La guerre des mots entre l'Arabie saoudite et l'Iran reflète une rivalité croissante entre ces deux pays du Golfe mais les risques d'un affrontement militaire direct entre Ryad et Téhéran restent à ce jour limités.
Pourquoi ce regain de tension?
L'Arabie saoudite, championne du wahhabisme, doctrine rigoriste de l'islam sunnite, et la République islamique d'Iran, chiite, ont rompu leurs relations diplomatiques en 2016 et, dans leur lutte d'influence, soutiennent des camps rivaux au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen.
Depuis le 4 novembre, la tension entre les deux pays a été ravivée par la démission du Premier ministre libanais Saad Hariri, qui, de Ryad, a accusé l'Iran d'ingérence au pays du Cèdre par le biais du Hezbollah, mouvement chiite soutenu par Téhéran.
Elle est encore montée d'un cran quand le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, a accusé l'Iran d'avoir agressé son pays, en rendant Téhéran responsable d'un tir de missile des rebelles houthis au Yémen intercepté près de Ryad.
Téhéran, niant toute implication, a appelé Ryad à ne pas jouer avec le feu et à se méfier de la «puissance» iranienne.
D'où vient la rivalité irano-saoudienne?
Au-delà de l'antagonisme atavique entre Perses et Arabes, la concurrence entre Ryad et Téhéran a été exacerbée par la révolution iranienne de 1979 et l'avènement de la République islamique, porteuse d'un message révolutionnaire d'émancipation populaire et farouchement antiaméricain, perçu comme une menace par l'Arabie, monarchie conservatrice alliée des Etats-Unis.
Ryad sera un des principaux financiers de Saddam Hussein pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran (1980-1988).
Avec l'affaiblissement de l'Irak après la guerre du Golfe (1991), l'Arabie et l'Iran deviennent «les deux principales puissances régionales», relève Clément Therme, chercheur à l'International Institute for Strategic Studies (IISS), pour qui leur rivalité est d'abord «géostratégique».
Ryad voit comme une menace pour sa propre sécurité l'influence régionale grandissante de l'Iran avec les guerres en Irak et en Syrie, et la poursuite du programme balistique iranien. Pour l'Iran, qui s'estime encerclé par des bases américaines et menacé par les arsenaux constitués par ses voisins auprès des Etats-Unis, les missiles qu'il développe sont purement défensifs.
Quels facteurs conjoncturels favorisent les tensions?
«La première cause des tensions actuelles est liée à l'affrontement par intermédiaires entre l'Iran et l'Arabie Saoudite», estime M. Therme, en citant les théâtres de guerres en Irak, en Syrie et au Yémen.
Pour Max Abrahms, professeur à l'université américaine Northeastern de Boston et spécialiste des questions de sécurité internationale, la rivalité «saoudo-iranienne est devenue encore plus marquée» avec l'affaiblissement récent du groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie.
Cette concurrence «est devenue le principe organisateur des alliances au Moyen-Orient, rappelant en cela la Guerre froide, qui partageait les pays en deux camps», dit-il à l'AFP.
Pour M. Therme, «l'arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a libéré les énergies anti-iraniennes dans la péninsule arabique» car Washington «a pris fait et cause (...) pour son allié saoudien» et contre l'Iran.
Une attitude américaine tranchant avec celle de l'administration de Barack Obama (2009-2017), marquée par la signature d'un accord historique sur le nucléaire iranien.
Quel rôle joue le clivage entre chiites et sunnites?
Ces tensions religieuses «ont émergé comme un paramètre majeur de la rivalité irano-saoudienne» après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui a fait émerger un pouvoir chiite à Bagdad, «mais surtout après les printemps arabes de 2011», observe M. Therme.
«Les Etats arabes sont apparus comme vulnérables et l'Iran a été alors défini comme la principale menace pour la stabilité régionale», ajoute-t-il en référence au soutien affiché de Téhéran aux revendications des importantes minorités chiites dans les monarchies du Golfe.
Comment la crise risque-t-elle d'évoluer?
«L'Arabie saoudite va essayer de se servir du dernier tir de missile (houthi) pour mobiliser des soutiens en faveur de sanctions supplémentaires contre le programme balistique iranien», estime Graham Griffiths, analyste pour le cabinet de conseil Control Risk. Mais «l'éclatement d'un conflit régional plus large reste improbable», affirme-t-il à l'AFP.
«Le risque d'escalade semble atténué par la peur d'une guerre», estime aussi M. Therme, rappelant que "l'Iran a l'expérience» douloureuse «de la guerre avec l'Irak». Quant à l'Arabie, «est enlisée au Yémen», où elle est engagée depuis mars 2015 à la tête d'une coalition militaire pour stopper l'avancée des rebelles houthis.
Pour la société de conseil en risque politique Eurasia Group, «la rhétorique saoudienne ne reflète pas nécessairement un intérêt pour la guerre». Mais l’argument «nationaliste» contre l'Iran pourrait être instrumentalisé par le prince héritier --qui bouscule actuellement les codes dans le royaume ultra-conservateur-- pour «consolider sa position».