Onze princes et des dizaines de ministres, anciens et actuels, ont été arrêtés samedi soir en Arabie saoudite, selon des médias, au cours d'une purge sans précédent qui doit permettre au jeune prince héritier de consolider son pouvoir.
Parallèlement, les puissants chefs de la Garde nationale saoudienne, une force d'élite intérieure, et de la Marine ont été limogés. Ces arrestations et limogeages sont intervenus quelques heures après la création, par décret royal, d'une commission anticorruption dirigée par le prince héritier et homme fort du royaume ultra-conservateur, Mohammed ben Salmane, âgé de 32 ans et surnomé MBS.
Selon la chaîne satellitaire Al-Arabiya, à capitaux saoudiens, onze princes, quatre ministres et des dizaines d'anciens ministres ont été arrêtés alors que la commission a lancé une enquête sur les inondations qui ont dévasté en 2009 la ville portuaire de Jeddah (ouest), sur la mer Rouge, à la suite de pluies torrentielles, faisant une centaine de morts.
L'agence de presse officielle saoudienne SPA a indiqué que le but de la commission était de «préserver l'argent public, punir les personnes corrompues et ceux qui profitent de leur position». Le conseil des religieux a rapidement réagi sur son compte Twitter en affirmant que la lutte contre la corruption était «aussi importante que le combat contre le terrorisme».
Parmi les personnes arrêtées figure le prince et milliardaire Al-Walid ben Talal, selon des sites web saoudiens. Cette information n'a pas été confirmée officiellement. Une source aéroportuaire a par ailleurs indiqué à l'AFP que les forces de sécurité avaient cloué au sol des avions privés à Jeddah, pour empêcher que certaines personnalités quittent le territoire.
Les comptes bancaires gelés
Les comptes bancaires des personnalités saoudiennes arrêtées pour corruption présumée feront l'objet d'enquêtes et seront gelés, a annoncé dimanche le ministère de l'Information. «Tout bien et toute propriété liés à ces cas de corruption seront enregistrés comme propriété de l'Etat», a écrit le ministère sur un compte Twitter officiel, ajoutant que tous les biens «résultant de la corruption seront restitués à l'Etat».
«L'étendue et l'ampleur de ces arrestations semblent être sans précédent dans l'histoire moderne de l'Arabie saoudite», a affirmé à l'AFP Kristian Ulrichsen, spécialiste du Golfe à l'institut Baker de l'université Rice, aux Etats-Unis.
«Si la détention du prince Al-Walid ben Talal se confirme, elle constituera une onde de choc sur le plan intérieur et dans le monde des affaires internationales», estime cet expert.
Etouffer les contestations
Contrôlant les principaux leviers du gouvernement, de la défense à l'économie, Mohammed ben Salmane semble chercher à étouffer les contestations internes avant tout transfert formel du pouvoir par son père, le roi Salmane, âgé de 81 ans. Fin octobre, MBS, issu de la jeune génération princière saoudienne, a promis une Arabie «modérée», en rupture avec l'image d'un pays longtemps considéré comme l'exportateur du wahhabisme, une version rigoriste de l'islam qui a nourri nombre de jihadistes à travers le monde.
«Nous n'allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d'idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant», avait-il assuré sous les applaudissements des participants à un forum économique baptisé le «Davos dans le désert» qui avait attiré 2 500 décideurs du monde entier. Il a lancé plusieurs chantiers de réformes - droit de conduire pour les femmes et ouvertures de cinémas notamment - qui marquent le plus grand bouleversement culturel et économique de l'histoire moderne du royaume, avec une marginalisation de fait de la caste des religieux conservateurs.
Dans le même temps, il a oeuvré pour renforcer son emprise politique sur le pouvoir, procédant notamment en septembre à une vague d'arrestations de dissidents, dont des religieux influents et des intellectuels. Selon des analystes, nombre de ces dissidents critiquaient la politique étrangère musclée du jeune prince héritier, comme le boycott du Qatar, ainsi que certaines réformes comme la privatisation d'entreprises publiques et la réduction des subventions de l'Etat.