Deux ans après l'attaque d'un train Thalys, l'enquête progresse sur la genèse de ce projet inspiré par le jihadiste Abdelhamid Abaaoud : la justice française a délivré un mandat d'arrêt à l'encontre d'un proche de cet homme-clé des attentats parisiens du 13 novembre 2015.
Ce nouveau suspect, que les juges antiterroristes parisiens voudraient entendre, s'appelle Redouane Sebbar. Le parcours de ce Marocain de 25 ans semble lié à l'entreprise jihadiste d'Abaaoud en Europe dont il connaît peut-être certains secrets.
Détenu en Allemagne depuis fin 2016, il est visé depuis le 13 juillet par un mandat d'arrêt international en vue de sa remise à la France et de sa mise en examen pour «association de malfaiteurs terroriste» et «complicité de tentative d'assassinats terroristes». Selon ce mandat d'arrêt, Redouane Sebbar est soupçonné d'avoir participé à «la préparation de l'attentat» du Thalys le 21 août 2015, d'après une source proche du dossier.
Ce jour-là, armé d'une kalachnikov et de neuf chargeurs pleins - soit quelque 270 balles-, Ayoub El Khazzani, un Marocain parti de Bruxelles, ouvre le feu dans un Thalys peu après son entrée en France. Il blesse deux passagers avant d'être maîtrisé par des militaires américains en vacances. Un potentiel carnage est évité, trois mois avant l'équipée meurtrière des commandos du 13-Novembre (130 morts).
Une équipe bien organisée
Longtemps silencieux, le tireur a finalement avoué en décembre 2016 qu'il était monté dans ce train sur les ordres d'Abaaoud : il «m'a dit (...) qu'il allait tout préparer (...) que je n'aurais qu'à agir». Depuis, El Khazzani s'est longuement expliqué devant le juge. Il a décrit son arrivée au sein du groupe Daesh en Syrie en mai 2015 et comment Abaaoud et lui s'étaient ensuite infiltrés en Europe début août avec l'aide de Bilal Chatra. Cet «éclaireur», chargé par Abaaoud de les guider sur la route des migrants, a été écroué en France en avril.
Les investigations menées en Allemagne, où Chatra a été arrêté, ont permis de remonter à ce troisième homme, Redouane Sebbar, considéré comme un membre du «cercle fermé» d'Abaaoud, mort quant à lui dans l'assaut policier contre sa planque trois jours après les attentats parisiens. La police allemande soupçonne Sebbar d'avoir eu «connaissance des projets d'attentats» du Belgo-marocain, notamment quand ce dernier téléguidait la cellule de Verviers (Belgique), démantelée en janvier 2015.
Lors de ses voyages en Europe dans les pas d'Abaaoud, Sebbar aurait pu effectuer «des missions d'éclaireur» et de «passeur», d'après l'enquête allemande. Fin 2014, il se trouvait dans un appartement en Turquie, avec Abaaoud et deux jihadistes morts dans l'assaut de Verviers, avant leur voyage début 2015 vers la Grèce.
Des repérages ?
Alors qu'il est installé en Allemagne depuis mai, un déplacement «inhabituel» les 15 et 16 août va intriguer les juges français : en visite à Paris, avec selfies devant la tour Eiffel et le Sacré-Coeur, il effectue le 2e jour un aller-retour en Thalys entre Paris et Bruxelles dans la même soirée, suggérant un repérage. Il est à nouveau localisé dans la capitale belge le 19 août, le jour où Abaaoud aurait donné l'ordre de mission à El Khazzani.
Dans le téléphone de Sebbar, les enquêteurs ont découvert une note du 17 août mentionnant «Stalingrad», peut-être en référence à cette avenue proche de la gare de Bruxelles-Midi. Quatre jours plus tard, El Khazzani s'attable à la terrasse de l'Hôtel Stalingrad avant de monter en 1ère classe du Thalys.
Réfutant l'idée d'un massacre, ce dernier affirme qu'il voulait cibler des «Américains», mais cette version pose question au vu de son arsenal surdimensionné. Son avocate, Sarah Mauger-Poliak, a demandé au juge une reconstitution pour savoir «ce qui s'est réellement passé ce jour-là» alors que l'enquête, selon elle, s'est concentrée jusqu'ici à «retracer les liens» entre son client et «d'autres protagonistes jihadistes».
Les enquêteurs s'interrogent aussi sur un certain «Abou Walid», décrit par El Khazzani comme celui qui l'aurait convoyé de Cologne à Bruxelles et lui aurait apporté des armes. Un mystérieux chauffeur dont le tireur du Thalys a dressé un portrait-robot mi-octobre dans le bureau du juge, selon une source proche de l'enquête.