Quelques heures avant l'ouverture de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi s'adressera pour la première fois mardi à ses concitoyens sur la crise des musulmans rohingyas.
Après avoir annoncé qu'elle ne se rendrait pas à New York, Aung San Suu Kyi a décidé de parler, non pas depuis la tribune de l'ONU, mais depuis Naypyidaw, la capitale administrative birmane.
Tout un symbole, alors que le nationalisme birman est attisé par les critiques internationales sur le sort des plus de 400.000 Rohingyas, réfugiés au Bangladesh, qui ont fui l'Etat Rakhine (ouest de la Birmanie) où l'armée mène une vaste opération de représailles depuis des attaques, le 25 août, de rebelles rohingyas. L'ONU parle d'«épuration ethnique».
Son discours télévisé à la Nation, prévu à 10h locales (03h30 GMT), est très attendu, la Prix Nobel de la paix ayant apporté jusqu'ici son soutien sans faille à l'armée, accusée de mener des exactions sous couvert d'opération anti-terroriste. Aung San Suu Kyi n'a jusqu'ici que mollement appelé l'armée à la retenue et à épargner les civils. Depuis trois semaines, elle ne s'exprime d'ailleurs que via son service de presse et n'a donné qu'une brève interview à la télévision indienne.
Il y a peu de chance que le discours d'Aung San Suu Kyi mardi s'inspire de celui qu'elle a tenu l'an dernier à la tribune de l'assemblée générale de l'ONU, promettant à l'époque de défendre les droits de cette minorité considérée comme l'une des plus persécutées au monde. Aung San Suu Kyi avait alors promis de «s'opposer fermement aux préjugés et à l'intolérance».
Aung San Suu Kyi très soutenue dans le pays
Depuis le début de la crise, la population soutient massivement le régime, gouvernement civil mais aussi armée. «Nous sommes derrière notre Conseillère d'Etat» (le titre officiel d'Aung San Suu Kyi), titrait ce week-end en Une le journal officiel New Light of Myanmar, au-dessus d'une photo de membres de la diaspora birmane manifestant à Londres, des portraits d'Aung San Suu Kyi à la main.
D'autres photos, cette fois de manifestants brûlant ses portraits dans des pays musulmans, ont suscité la colère sur les réseaux sociaux de ce pays bouddhiste à plus de 90%, où les musulmans sont vus comme une menace à l'identité nationale.
Réfletant l'opinion de tant d'autres dans le pays, Mayzin Aye, une femme d'affaires birmane connue pour son engagement de longue date en faveur de Aung San Suu Kyi, s'est adressée à la communauté internationale sur facebook. «Elle n'est pas votre leader, elle est NOTRE leader», a-t-elle écrit, ajoutant: «Elle a des millions de filles, de fils et de soeurs qui sont derrière elle à 100%».
La place prépondérante de l'armée
Aung San Suu Kyi, fille du père de l'Indépendance birmane et icône dans son pays, a elle-même dénoncé «l'iceberg de désinformation» véhiculé par les médias internationaux sur la crise, et entend dire mardi «sa» vérité. Il s'agit aussi de s'afficher comme celle qui tient le gouvernail alors que le chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing, est, dans l'ombre, l'homme clef dans ce dossier.
«Elle signale que sa priorité est la relation entre le gouvernement et l'armée, et que le pogrom (anti-rohingya) est une question secondaire», analyse Francis Wade, auteur du livre «Myanmar's enemy within» («l'ennemi de l'intérieur de la Birmanie»), consacré au racisme anti-musulman. Les généraux restent très puissants malgré la dissolution en 2011 de la dictature militaire qui a joué sur la peur de l'islamisation de la Birmanie pendant ses décennies au pouvoir.
La question des Rohingyas «est une cause nationale et nous devons être unis dans l'établissement de la vérité», à savoir que cette communauté apatride n'a rien de birman, a averti samedi le chef de l'armée sur Facebook, donnant ainsi le «la» avant le discours d'Aung San Suu Kyi.