La situation humanitaire continuait de se dégrader jeudi au Bangladesh, étranglé par l'afflux de près de 389.000 Rohingyas musulmans fuyant les violences en Birmanie, où des centaines de villages ont été incendiés.
Après des jours de marche dans la boue, avec sur leurs dos des bébés ou des personnes âgées, les réfugiés rohingyas s'arrachaient les portions alimentaires distribuées dans le camp d'Ukhia, près de Cox Bazar, dans le sud du Bangladesh.
Les camps sont débordés par cette marée humaine, qui fuit une campagne de répression de l'armée birmane consécutive à des attaques de rebelles rohingyas.
Ici, les collines, déboisées, sont désormais submergées par les bâches tendues sur des bambous qui servent d'abris précaires aux familles contre les pluies de mousson.
«Il y a une pénurie aiguë de tout, d'abri, de nourriture et d'eau potable», décrit Edouard Beigbeder, représentant pour l'Unicef au Bangladesh, qui évoque la "tâche monumentale" pour protéger notamment les enfants, qui représentent 60% des réfugiés.
Mercredi, le Conseil de sécurité de l'ONU a réclamé à la Birmanie des mesures «immédiates» pour faire cesser la «violence excessive» dans l'Etat Rakhine (ouest).
Les Nations unies ont souligné par ailleurs la nécessité de permettre aux organisations humanitaires l'accès aux Rohingyas qui sont toujours en Birmanie. Des milliers seraient cachés dans les forêts ou encore en route vers le Bangladesh, alors que la zone reste totalement bouclée par l'armé birmane, dont les exactions sont dénoncées par les réfugiés.
Face à l'ampleur de l'exode, l'ONU n'hésite plus depuis quelques jours à parler de «nettoyage ethnique». L'ex-dissidente et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est sous le feu des critiques à l'international pour sa position ambiguë sur le sort de cette minorité musulmane persécutée d'environ un million de personnes.
Les violences et discriminations contre les Rohingyas sont allées en s'intensifiant ces dernières années: traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste, les Rohingyas représentent la plus grande communauté apatride du monde.
Depuis que la nationalité birmane leur a été retirée en 1982, ils sont soumis à de nombreuses restrictions: ils ne peuvent pas voyager ou se marier sans autorisation, ils n'ont accès ni au marché du travail, ni aux services publics (écoles et hôpitaux).
La dirigeante birmane, au pouvoir depuis avril 2016 après les premières élections libres depuis plus de 20 ans, a promis de sortir de son silence mardi prochain, lors d'un grand discours à la nation birmane.
Mais sur le terrain, c'est la très puissante armée birmane qui reste à la manoeuvre. Depuis la rive du fleuve Naf, qui marque une frontière naturelle entre Birmanie et Bangladesh, les incendies de villages sont visibles.
Pour traverser le fleuve, les bateliers réclament aux réfugiés jusqu'à 100 dollars pour un trajet de 10 à 30 minutes qui coûtait auparavant un demi dollar.
«Le batelier nous a soutiré jusqu'au dernier sou. Maintenant, nous voulons aller au camp mais nous n'avons plus d'argent», se lamente Momena Begum, 35 ans, attendant sur le bord de la route avec ses cinq enfants.
«Les propriétaires de bateaux nous ont menacés de nous jeter à l'eau si nous refusions de leur donner nos biens», renchérit Nadera Banu. Cette jeune veuve de 19 ans a dû céder le dernier souvenir qui lui restait de son mari, un médaillon en or reçu lors de son mariage.
Des «tribunaux mobiles» de magistrats bangladais ont condamné ces derniers jours des dizaines de propriétaires de bateaux et de villageois locaux accusés de profiter de la détresse des réfugiés.
Et le fleuve continue de déposer chaque jour sur la rive des cadavres de réfugiés dont le bateau surchargé s'est renversé: deux nouveaux corps ont été repêchés jeudi, portant le total à 103 depuis le 30 août, a annoncé la police bangladaise à l'AFP.
Les rebelles musulmans rohingyas, à l'origine des attaques fin août, ont annoncé dimanche l'arrêt temporaire de leurs attaques et rejeté jeudi tout lien avec le terrorisme international.
«Nous n'avons aucun lien avec Al-Qaïda, l'Etat islamique ou tout groupe terroriste international. Et nous ne souhaitons pas que ces groupes s'impliquent dans le conflit en Arakan (ancien nom de l'Etat Rakhine)», a affirmé l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA) sur Twitter.