La justice kényane était saluée samedi pour l'annulation de la présidentielle du 8 août, première africaine démontrant la «maturation» de la démocratie kényane, sur fond d'interrogations quant à la capacité de la controversée Commission électorale à organiser la nouvelle élection, d'ici au 31 octobre.
Entre le «courage» de la Cour suprême, l'acceptation du verdict par toutes les parties, la liesse de partisans de l'opposition désormais assurés que la justice n'est pas invariablement contre eux, et la retenue des forces de l'ordre, le 1er septembre 2017 a été un «grand jour» pour le Kenya, s'accordent les observateurs.
«Les ramifications et implications de l'annulation de la présidentielle du 8 août vont être ressenties pendant des années au Kenya et à travers le continent», traversé de nombreuses crises électorales, s'est félicité le quotidien The Star dans son éditorial. «C'est un grand jour pour le Kenya, cela établit un précédent pour l'Afrique».
Saisie par l'opposant Raila Odinga, la Cour suprême a relevé vendredi des «irrégularités» dans la transmission des résultats, et invalidé la victoire du président sortant Uhuru Kenyatta (54,27% des voix), dont l'annonce s'était accompagnée de manifestations et d'émeutes violemment réprimées par la police, faisant au moins 21 morts.
Candidat malheureux en 1997, 2007 et 2013, M. Odinga, 72 ans, a salué un jugement «historique», tandis que son rival Uhuru Kenyatta, 55 ans, a dit respecter la décision malgré son «désaccord» avec cette dernière.
La Cour suprême jouait vendredi une partie de sa crédibilité : en 2013, dans une autre composition, elle avait été critiquée pour la manière dont elle avait débouté M. Odinga, en usant d'une jurisprudence discutable et en multipliant les arguties procédurales.
Ce précédent en tête, M. Odinga avait dans un premier temps exclu un recours en justice, avant de s'y résoudre face aux pressions de certains poids lourds de sa coalition et de la communauté internationale.
«Institutions indépendantes»
Pour le quotidien Daily Nation, l'annulation du scrutin est la preuve «de la suprématie de l'Etat de droit et de la maturation de notre démocratie».
Car le Kenya a une longue histoire d'élections contestées. En 2007-2008, M. Odinga avait rejeté la victoire de Mwai Kibaki et le pays avait plongé dans les pires violences post-électorales de son histoire (plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés).
«Les Kényans se sont battus pendant des décennies pour institutionnaliser l'Etat de droit. Nous avons combattu, nous avons versé du sang, perdu des vies et des biens à la recherche de l'ordre constitutionnel», a souligné le Daily Nation, évoquant un «désir d'établir des institutions indépendantes qui se contrôlent les unes les autres».
Devant la Cour suprême, les avocats de l'opposition avaient pointé du doigt des procès-verbaux de bureaux de vote et circonscriptions, les seuls à faire légalement foi, non signés ou ne présentant pas les signes d'authentification prévus par l'IEBC. Cette dernière avait-elle reconnu quelques «erreurs humaines commises par inadvertance», mais les considérait comme marginales.
Voyage difficile
La presse kényane a toutefois rappelé samedi que de nombreuses questions restent en suspens. Le jugement complet de la Cour suprême, qui doit détailler ce qu'elle reproche à l'IEBC, doit être publié d'ici au 22 septembre.
Vendredi, Raila Odinga a déclaré avoir perdu toute confiance en l'IEBC et exigé le départ de ses dirigeants. Le président de l'IEBC, Wafula Chebukati, s'est lui dédouané d'avoir commis la moindre faute, ainsi que les six commissaires qui le secondent.
Mais M. Chebukati n'est pas parvenu à apaiser les critiques adressées à l'IEBC. «Les institutions chargées de gérer (les élections, NDLR) se sont pathétiquement montrées incapables d'exécuter leur mandat», a tancé samedi le Daily Nation. «Il est difficile d'imaginer comment (l'IEBC) va conduire les élections durant les 60 prochains jours», le délai prévu par la Constitution.
Selon le quotidien The Standard, l'IEBC «doit faire le ménage» en son sein : «Ce dont le Kenya a le plus besoin en ce moment, c'est une élection légale, juste et transparente».
Jouant sur l'euphorie ambiante, le quotidien a cependant conclu avec humour, publiant un dessin de presse représentant le président de la Cour suprême debout sur un globe terrestre. Une voix non identifiée s'élève alors de l'autre côté de la planète : «Le Kenia? (sic) Je pensais qu'ils ne pouvaient faire parler d'eux qu'en athlétisme».