Ce dimanche, les Népalais sont appelés aux urnes pour élire 13.556 représentants locaux (maires, conseillers de districts, etc). C’est la seconde fois de leur vie qu’ils sont consultés sur la question.
La première (et seule autre) fois, c’était il y a vingt ans, en 1997. A l’époque, le Népal était dirigé par une monarchie constitutionnelle et déchiré par une guerre civile (1996-2006). Les Népalais ont ensuite été rappelés aux urnes une seule fois, en 2008, pour élire l’Assemblée constituante qui a aboli la monarchie dans la foulée.
Depuis cette date, il y a près de dix ans, le pays est plongé ans une crise politique qui tente d’accoucher d’une démocratie. Cette élection sonne comme un test décisif pour l’avenir de la démocratie au Népal.
Pour saisir les enjeux de ces élections, CNews Matin a interrogé Stéphanie Selle, co-directrice de Planète Enfants & Développement au Népal, et spécialiste de la politique népalaise.
On lit partout que ce sont «les premières élections locales depuis 20 ans». Pour le Népal, est-ce un retour ou un accès à la démocratie ?
Ce qui est certain, c’est que c’est un vrai nouveau départ. Pour la première fois, tout l’arsenal démocratique est là, entre les mains des népalais : assemblée élue au suffrage universel (2008), mise en place d’une constitution républicaine (2015), et maintenant les élections au suffrage universel des élus locaux ! On espère que cela va vraiment fonder une démocratie jamais vue dans le pays. La nouvelle Constitution fait de la République népalaise une république fédérale, découpée en sept provinces à la grande autonomie. Les élus locaux vont donc être élus avec des prérogatives beaucoup plus importantes qu’avant. C’est quelque chose de complètement nouveau. Je ne parlerais pas de «retour» à la démocratie, plutôt d’une étape décisive dans l’accès à la démocratie.
N’est-ce pas trop compliqué d’élire 13.000 représentants d’un coup ?
C’est vrai que ça paraît compliqué, mais ils le font car beaucoup de gens sont très isolés en raison de l’absence de route, et on ne peut pas leur demander de se déplacer plusieurs fois pour voter. Mais c’est vrai qu’il va être difficile d’avoir des résultats clairs et admis par tous. L’administration népalaise est très peu informatisée, tout va se faire principalement sur papier. Cela risque de donner lieu à de multiples réclamations, des erreurs, mais malheureusement aussi des fraudes. D’autant qu’il n’y a pas de surveillance prévue par des instances internationales.
Une partie des électeurs doit voter aujourd’hui, l’autre partie votera le 14 juin. Ce calendrier est justifié par les «risques de violence». Quels sont-ils ?
Les mouvements les plus craints sont les Madhesis («habitants des plaines», qui représentent 10 à 20% de la population). Ces derniers ne sont pas très contents de la Constitution de 2015, qui redécoupe le territoire en sept provinces. Or, ce redécoupage a fait qu’ils se retrouvent saucissonnés. Il devrait y avoir un amendement dans la Constitution pour revenir là-dessus et éventuellement leur créer leur propre province, mais cela n’a toujours pas été voté. C’est de ce côté-là que les craintes se tournent, mais les Madhesis n’ont pas pour autant lancé d’appel particulier pour cette élection.
Comment fait-on, quand on est électeur à Katmandou, pour choisir entre 878 candidats ?
Au Népal, près de 40% des adultes sont encore analphabètes. Les gens se fient donc beaucoup à l’avis de leurs proches. Après, les partis sont omniprésents au Népal, donc les gens peuvent voter pour un parti plutôt que pour un candidat. Car effectivement, dans une ville comme Katmandou, les électeurs ne connaîtront pas tous les candidats.
Il y a également beaucoup de prétendants qui font des meetings, ce qui leur permet de se faire connaître par le bouche-à-oreille. Enfin, les gens vont voter, pour beaucoup, pour celui qui aura le mieux parlé, et qui leur aura promis quelque chose. En province surtout. Je n’aime pas faire ce genre de généralités, mais, en raison du manque d’éducation, les Népalais peuvent être assez crédules.
Il y a déjà eu des initiatives dans le pays, pour établir la représentativité (1959), puis pour instaurer un Premier ministre (1980). Peut-on dire que le Népal tente d’accéder à la démocratie depuis 58 ans ?
Quelque part, c’est vrai, cela fait plus de 50 ans qu’ils essayent de construire ça. Mais à chaque fois, ils vont un peu plus loin, et là on est bien plus avancé que ce qui avait été tenté dans les années 80. Cette fois, c’est un peu l’aboutissement du processus d’instauration de la démocratie. S’ils arrivent à avoir ce pilier d’élus locaux, choisis démocratiquement, leur système politique aura vraiment le visage de la démocratie, ce qui n’était pas le cas les précédentes fois.
Les conditions sont-elles réunies pour qu’ils arrivent à avoir ce pilier d’élus locaux ?
C’est un gros point d’interrogation, qui dépend de comment tout cela va se passer. Mais c’est assez compliqué d’avoir des élections qui se passent bien, qui soient dépouillées sereinement, sans qu’il n’y ait de réclamation sur les résultats … Ca n’est pas évident. Tous les observateurs se demandent comment tout cela va se passer. Si ça ne marche pas, la frustration des gens peut aboutir à des violences. En revanche, si ça marche, la démocratie sera ancrée. Certes, pour une vraie démocratie sans corruption, sans démocratie, il y a encore un peu de chemin… Mais bon, ils ne sont pas les seuls !