Ils étaient 1.636, ils ne sont plus que six. Les candidats à la présidentielle iranienne ont démarré leur campagne, et s'apprêtent à s'affronter lors d'un premier débat, dont la diffusion est prévue vendredi.
Jusqu'au 19 mai, jour de l'élection, ils tenteront de séduire les électeurs en mettant en avant leurs projets. Comment les candidats ont-ils été sélectionnés ? Quels sont les enjeux de l'élection ? Qui va gagner ? Chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Karim Pakzad décrypte la situation.
Plus de 1.600 personnes se sont présentées à l’élection. Depuis la France, ce chiffre paraît énorme. Comment l’expliquez-vous ?
Il y avait 1.600 candidats, car en Iran, le système est différent de celui de la France. Il n’y a pas besoin de récolter 500 signatures pour se présenter, les candidatures sont vraiment libres. Il suffit d’être de nationalité iranienne, d’avoir trente ans, et c’est tout. C’est pour ça qu’il y a autant de candidats.
Sur quels critères les candidats sont-ils sélectionnés ?
La sélection se fait en deux phases. Dans un premier temps, il y a un tri lors duquel des centaines de candidatures sont rejetées, pour des raisons pratiques. Par exemple, un chômeur qui ne sait ni lire ni écrire ne va pas être retenu. Pareil pour les femmes, qui sont autorisées à s'inscrire, mais ne peuvent pas être élues à ce poste, selon la loi.
Ensuite, il y a une seconde sélection, pour garder les candidats les plus « sérieux ». On regarde alors le niveau d’étude, le casier judiciaire, ou encore leur fidélité à la République islamique. Il faut aussi que le candidat soit chiite.
Les femmes peuvent être candidates, mais n'ont pas le droit d'être élues, selon la loiKarim Pakzad, chercheur à l'IRIS
Et qui s’occupe de cette sélection ? Et pourquoi la candidature de l’ancien président Ahmadinejad a-t-elle été rejetée ?
Cette sélection est faite par le Conseil des gardiens, lui-même désigné par le Guide suprême, qui a autorité sur les sélections. Le Conseil des gardiens est donc aux mains des conservateurs, et il n’a de comptes à rendre à personne. Ce sont eux qui décident, et leurs décisions sont purement discriminatoires puisqu’ils ne sont pas tenus de les justifier. Comme vous le constaterez, jusqu’à cette étape, l’élection n’a rien de démocratique.
C’est d’ailleurs pour ça que l’ancien président Ahmadinejad n’a pas été retenu. Le Conseil a estimé qu’il n’avait pas les capacités d’être président, alors qu’il a dirigé le pays pendant huit ans. En vérité, c’est parce qu’il a critiqué le Guide et joué un rôle dans l’opposition. Il y a dix ans, on l’appelait «le fils spirituel du guide», mais aujourd’hui, il l’a trop critiqué, et n’avait aucune chance.
La sélection est purement discriminatoire. A cette étape, l'élection n'a rien de démocratique.Karim Pakzad, chercheur à l'IRIS
Quel est le rôle du président en Iran ?
Il est le chef de l’exécutif, et pourrait être à ce titre assimilé au Premier ministre français. Le président iranien n’a pas le même pouvoir qu’en France, car ici, c’est le Guide suprême qui a toujours le dernier mot, sur tous les sujets. Il est donc inenvisageable qu’un candidat s’oppose à lui. Le but, pour la population, c’est de voter pour le plus à même de faire accepter ses revendications au Guide suprême.
La presse occidentale voit le président sortant Hassan Rohani comme le grand favori. Est-ce un pronostic légitime ?
L’occident a une bonne image d’Hassan Rohani, contrairement à son prédécesseur Ahmadinejad, parce qu’il est beaucoup plus modéré sur les conflits régionaux, sur la Syrie, etc. Mais Je suis plus prudent que la presse occidentale sur la réélection de Rohani.
Il a l’avantage d’être le président sortant, et bénéficie de plusieurs coups d’éclat. Il a notamment signé l’accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis, comme le souhaitait la population, et a abaissé énormément l’inflation, de 35% à 9%.
Malgré tout, il est très violemment contesté par l’ensemble des organisations conservatrices. Pour ses opposants, il a la réputation du candidat de l’étranger et de l’ouverture à l’occident. Le fait que les Etats-Unis aient renforcé leurs sanctions contre l’Iran est également une arme redoutable pour les conservateurs, qui utilisent l’argument : «on a renoncé à notre programme nucléaire, mais pour pas grand-chose en retour».
Les autres candidats ont-ils une chance ?
L’Iran se dirige de plus en plus vers une vie politique bipartisane, entre la droite conservatrice et les réformateurs «centristes». Maintenant que les six candidats sont sélectionnés, on entre dans une période électorale pareille à toutes les autres. Il y a Ebrahim Raisi, le candidat du Guide suprême, qui représente la droite populiste, qu’on peut qualifier d’extrême-droite. Il est à la tête d’une fondation qui gère plusieurs millions de dollars, ce qui lui assure de nombreux soutiens. Egalement sélectionné, Mohammed Bagher Ghalibaf représente lui la droite «moderniste», qui prône une gouvernance économique. De l’autre côté, il y a Rohani, issu de la droite modérée mais soutenu par les réformateurs en 2013, qu’il représente encore aujourd’hui.
On va assister à une vraie campagne, projets contre projets, et on ne peut pas dire aujourd’hui que le prochain président sera Hassan Rohani. Il y a des points qui jouent en sa faveur, mais il ne peut pas sous-estimer la puissance économique, ni la base électorale des conservateurs et des islamistes, qui représentent entre 15 et 20% de la population. Et puis, il y a quatre ans, la campagne tournait au cœur de questions de politique étrangère, et Rohani était bon pour ça. La campagne 2017 sera plus centrée sur le chômage, l’économie et l’inflation. Le premier débat télévisé entre les six candidats aura lieu vendredi. A partir de samedi, on y verra un peu plus clair.
Si un candidat conservateur était élu, ce serait un pas énorme en arrièreKarim Pakzad, chercheur à l'IRIS
Quels sont les enjeux de cette élection ? L’Iran peut-elle faire un grand pas en arrière ?
Dans le débat actuel, les partisans de Rohani utilisent cet argument, du risque de faire un pas en arrière, pour dénoncer l’extrême-droite, en soulignant que l’Iran risque de venir une nouvelle Syrie ou une nouvelle Irak avec l’élection d’un conservateur. Car des candidats comme Ghalibaf (actuel maire de Téhéran) et Raisi (extrême-droite) pensent que la République islamique issue de la Révolution islamique doit garder sa pureté. Si l’un d’entre eux est élu, ce serait un pas en arrière énorme. Mais, bien que le Guide suprême dénonce l’attitude des Etats-Unis, je ne pense pas qu’il soit sur la même position jusqu’au-boutiste.