La présidente brésilienne de gauche Dilma Rousseff s'est retrouvée lundi plus que jamais politiquement acculée, au lendemain de manifestations d'ampleur historique pour réclamer son départ du pouvoir.
Environ trois millions de Brésiliens selon la police, ont défilé dans tout le pays aux cris de "Dilma dehors!", de plus en plus exaspérés par la récession économique et la crise politique qui paralysent le pays depuis plus d'un an. Sans parler des incessantes révélations dévastatrices du méga-scandale de corruption Petrobras. L'opposition s'est réjouie lundi de la mobilisation massive de dimanche. Elle espère qu'elle fera réfléchir sur les députés qui hésitent encore à voter bientôt pour ou contre la destitution de la présidente, réélue démocratiquement en 2014.
Lundi, la chef de l'Etat s'est réunie avec ses plus proches ministres pour évaluer la situation politique. Elle n'a fait aucune déclaration. Vendredi, ce sera au tour du Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir, des syndicats et des mouvements sociaux liés au PT de montrer leur force dans les rues du pays. "Mais si ces manifestations sont petites, ce sera un enterrement de gala en pleine rue" du PT, estime l'analyste Fernando Canzian du quotidien Folha de Sao Paulo.
Les enquêteurs de l'affaire Petrobras ont publié lundi la déposition faite le 4 mars par l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, 70 ans, après son interpellation dans ce dossier, où il manifeste son intention de briguer la présidence en 2018. "Je suis un petit vieux. Je voulais me reposer. Mais je vais être candidat à la présidence en 2018, parce que si on me cherche, on va me trouver", a déclaré aux policiers le mentor et prédecesseur de Mme Rousseff.
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Autre motif de sérieuse préoccupation pour la présidente: le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), pilier incontournable de sa coalition s'est donné samedi 30 jours pour décider s'il claquera ou non la porte du gouvernement. Le PMDB réuni en congrès national a reconduit à sa tête le vice-président brésilien Michel Temer, qui assumerait la présidence jusqu'aux élections de 2018, en cas de destitution de Rousseff. "Le week-end a été très mauvais pour le gouvernement. Les manifestations ont été massives (...) C'est le pire scénario", commente Sergio Praça, analyste en sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas de Rio de Janeiro. "Le prix à payer pour soutenir le gouvernement est très élevé et les politiciens en sont conscients. Personne ne va vouloir couler avec le PT", ajoute-t-il.
Dilma Rousseff vit depuis décembre sous la menace d'une procédure d'impeachment. L’opposition accuse son gouvernement d'avoir maquillé les comptes publics en 2014 pour minimiser l'ampleur des déficits et favoriser la réélection de Mme Rousseff.
Mercredi, le Tribunal suprême fédéral (STF) doit fixer définitivement les règles du cheminement parlementaire de la procédure, qui devrait rebondir immédiatement après. La bataille n'est pas forcément perdue pour la présidente. Notamment parce que l'opposition et le PMDB ne se sont pas accordés sur un éventuel "après-Dilma". Le chef de l'opposition Aecio Neves, président du Parti social-démocrate brésilien (SFB, centre-droit) n'est pas farouchement partisan d'un impeachment qui mettrait de facto le PMDB au pouvoir jusqu'en 2018.
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La semaine dernière, l'adversaire malheureux de Mme Rousseff au second tour de la présidentielle de 2014 avait appelé sa rivale à démissionner, "dans un geste magnanime, de générosité pour le pays". Une autre option favorable pour lui serait que la justice électorale casse le mandat de Dilma Rousseff et du vice-président Temer pour financement illégal de leur campagne par Petrobras. Dans les deux cas, de nouvelles élections seraient immédiatement convoquées. Il en serait le favori. Mais la procédure en cours devant le Tribunal supérieur électoral (TSE) est encore plus lente, et son issue plus incertaine, que celle de la destitution.
Et Mme Rousseff a clairement indiqué vendredi qu'elle n'avait "aucune intention de démissionner". La présidente, dont la marge de maneouvre est considérablement réduite, n'a plus qu'un atout maître en main pour tenter de renverser la vapeur : Lula, qu'elle a pressé vendredi d'intégrer son gouvernement. L'ancien ouvrier, président du miracle socio-économique brésilien des années 2000, jouit d'une aura et d'un talent politique sans équivalent au Brésil.
Mais ses récents déboires judiciaires, avec une menace d'emprisonnement à la clé, ont entaché son image. Son entrée au gouvernement, qui le mettrait à l'abri de la justice ordinaire, pourrait passer pour une dérobade. Il n'a pas encore livré sa réponse.