La police turque a investi vendredi soir les locaux du quotidien Zaman, hostile au président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, après une décision judiciaire de placement sous tutelle du journal qui renforce encore les inquiétudes pour la liberté de la presse en Turquie.
La police a utilisé gaz et canon à eau pour disperser des centaines de personnes qui s'étaient rassemblées devant le siège du journal à Istanbul et pénétrer dans le bâtiment, a constaté un photographe de l'AFP.
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Plus tôt dans la journée, sur requête d'un procureur, un tribunal d'Istanbul avait ordonné la nomination d'administrateurs provisoires à la tête du groupe Zaman, selon l'agence de presse Anatolie, favorable au gouvernement.
Les raisons de cette mise sous tutelle n'ont pas été précisées par Anatolie mais elles font peu de doutes, tant l'hostilité entre le quotidien et le régime était vive.
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Le groupe Zaman, qui outre le quotidien Zaman possède le journal de langue anglaise Today's Zaman et l'agence de presse Cihan, est considéré comme étant proche de l'imam Fethullah Gülen, un ancien allié devenu l'ennemi numéro un de M. Erdogan depuis un retentissant scandale de corruption qui a éclaboussé le plus haut sommet de l'Etat fin 2013.
Le président accuse M. Gülen, 74 ans, d'être à l'origine des accusations de corruption qui l'ont visé il y a deux ans et d'avoir mis en place un "Etat parallèle" destiné à le renverser, ce que les "gülenistes" nient farouchement.
Depuis ce scandale, les autorités turques ont multiplié les purges, notamment dans la police et le monde judiciaire, et les poursuites judiciaires pour "terrorisme" contre les proches de la nébuleuse Gülen et ses intérêts financiers.
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Dès l'annonce de la décision judiciaire, des dizaines de journalistes et d'autres salariés de Zaman s'étaient rassemblés devant leur quartier général stambouliote, selon des images diffusées en direct sur le site internet de ce groupe de presse. "Nous nous battrons pour une presse libre", proclamait l'un d'eux.
Pressentant la mesure de tutelle à venir, les responsables de Today's Zaman ont publié dans la matinée une tribune dénonçant les "jours les plus sombres et les plus sinistres pour la liberté de la presse" et les "menaces et chantages" du pouvoir.
Les Etats-Unis, par le voix du porte-parole du département d'Etat John Kirby, ont dit regretter "la dernière d'une série d'inquiétantes actions judiciaires et policières prises par le gouvernement turc pour cibler des médias et ceux qui le critiquent".
Journalistes incarcérés
Depuis plusieurs mois, l'opposition turque, les ONG de défense des médias et de nombreux pays s'inquiètent des pressions croissantes exercées par M. Erdogan et son gouvernement sur la presse et dénoncent sa dérive autoritaire.
Deux journalistes du quotidien d'opposition Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül, doivent ainsi être jugés à la fin du mois pour avoir fait état de livraisons d'armes d'Ankara à des rebelles islamistes en Syrie. Incarcérés pendant trois mois, ils ont été libérés il y a une semaine mais risquent la prison à vie.
Le gouvernement turc a également interdit de diffusion la semaine dernière de la chaîne de télévision prokurde IMC, accusée de "propagande terroriste" en faveur des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit). La justice turque avait déjà mis en octobre sous tutelle la holding Koza-Ipek, également proche de l'imam Gülen, qui détenait deux quotidiens et deux chaînes de télévision qui ont aujourd'hui mis la clé sous la porte.
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La décision visant Zaman intervient à quelques jours d'un sommet entre l'Union européenne (UE) et la Turquie sur la crise des migrants, au cours duquel Ankara espère une accélération de sa procédure d'adhésion à l'Europe en échange d'efforts pour enrayer le flot des candidats à l'exil qui quittent clandestinement ses côtes.
Can Dündar a critiqué mercredi les "sales petites combines" de l'UE, accusée de sacrifier la défense des libertés en Turquie en échange d'un accord sur les migrants. La Turquie pointe à la 149e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).
Son gouvernement a par ailleurs poursuivi vendredi son offensive contre les intérêt de la mouvance "güléniste" en arrêtant à Kayseri (centre) quatre dirigeants du conglomérat Boydak Holding, accusés d'avoir financé son organisation.