Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Il fallait bien que cela arrive un jour. La Chine est entrée à son tour dans une zone de turbulences. Elle est elle-même la cause de cette tourmente : le rôle moteur de l’économie mondiale, hier dévolu aux Etats-Unis, est aujourd’hui, en partie, celui de la Chine, régime communiste devenu pilote d’une économie capitaliste mondialisée.
La situation créée par ce qui n’est encore qu’un ralentissement de la croissance chinoise, assorti de bourrasques boursières, est dangereuse pour la Chine, mais aussi pour une bonne partie du reste du monde.
La Chine est confrontée à la nécessité de changer de modèle : la très forte croissance tirée par les exportations, grâce à une main-d’œuvre à très bas coût, laisse progressivement la place, à mesure que l’économie progresse et que l’aspiration au bien-être se fait jour, à une croissance modérée tirée par la consommation intérieure. La Chine a été, pendant un temps, l’atelier du monde. Comme l’avaient été, avant elle, la Grande-Bretagne de la deuxième moitié du XIXe siècle, puis les Etats-Unis au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et, plus récemment, le Japon, avant que ce pays ne plonge dans une phase de stagnation.
Cette fin du modèle "tout export" peut induire des bénéfices pour des populations chinoises qui devraient voir s’accélérer les investissements – déjà engagés – publics et d’infrastructures. Surtout, ces populations devraient voir apparaître des mécanismes de couverture sociale que seul un régime communiste pouvait ignorer à ce point. Ce passage à un modèle tourné davantage vers la consommation intérieure s’accompagne d’une explosion de la corruption que le président Xi Jinping a entrepris de combattre vigoureusement.
Dans l’immédiat, l’Europe tire profit du ralentissement chinois. Il se traduit par une moindre demande internationale d’hydrocarbures et de matières premières, donc par une baisse des prix. Celui du baril est tombé en dessous des 40 dollars… C’est un gain de pouvoir d’achat non négligeable pour l’Europe, qui importe son pétrole. Mais il faut aussi craindre un ralentissement de nos exportations : moins d’automobiles allemandes, moins de luxe français et italien pour les riches Chinois. Il faut y ajouter une instabilité sur les changes, voire une possible relance de la guerre des monnaies, comme on a pu le craindre lors de la baisse du yuan. Le ralentissement peut affecter aussi l’ensemble de la région, qui est en pleine expansion, avec des géants potentiels tels que la Malaisie ou le Vietnam.
Deux autres périls sont à considérer. Le premier réside dans la montée des tensions sociales. Déjà existantes, elles sont souvent violentes mais peu rapportées par la presse. Elles peuvent s’aggraver dans certaines régions de Chine, d’ores et déjà en récession. Le second péril serait une dérive nationaliste de la part de dirigeants qui trouveraient là un dérivatif à un trop-plein de tensions internes. Ce danger est déjà pris en compte par les pays de la région, à commencer par le Japon, mais aussi le Vietnam ou la Malaisie, qui, tous, pressent les Etats-Unis de renforcer leur présence et leur vigilance en mer de Chine.
En tout cas, nous ne saurions nous contenter d’assister, indifférents, à des difficultés chinoises qui s’aggraveraient. La Chine, ne l’oublions pas, a aidé fortement l’ensemble du monde à sortir de la crise financière déclenchée en 2007-2008. Les Etats-Unis, à l’origine de cette crise, se sont trouvés bien heureux de pouvoir compter sur le moteur chinois. Ce ne sont pas les seuls, mais c’est une bonne raison de contribuer à stabiliser la situation d’un pays qui, se croyant au-dessus des autres, se voit confronté aux difficultés du commun des mortels.
Jean-Marie Colombani