Retards répétés, responsabilités diluées, contrôles déficients: l'interminable construction du réacteur nucléaire EPR en Finlande devrait bientôt toucher à sa fin en entrant dans sa phase d'essai.
Initialement prévue en 2009, la mise en service du réacteur EPR dans la centrale d'Olkiluoto (ouest), dont le chantier a débuté en 2005, est maintenant programmée pour 2018.
Les deux principaux protagonistes de cette affaire, Areva, qui le construit avec l'Allemand Siemens, et l'exploitant finlandais TVO, ont assuré, lors d'une visite de presse destinée à promouvoir leur entente, entamer en 2016 la phase d'essai, désireux de prouver que leur épopée prendrait bientôt fin.
Pourtant, les deux groupes se rejettent chacun la responsabilité des retards et ont porté leur différend devant un tribunal d'arbitrage. Areva réclame 3,4 milliards d'euros et TVO 2,6 milliards.
Comment en sont-ils arrivés là ?
Pour le régulateur nucléaire finlandais (STUK), c'est simple. "Areva en tant qu'entreprise n'avait jamais géré un projet comme celui-ci. Il y avait un manque de savoir-faire au début", relève son directeur adjoint Tapani Virolainen, qui inspecte le chantier depuis le début.
La Finlande fut le premier pays à tester l'EPR. La France a lancé la construction du sien à Flamanville (Manche, nord-ouest) en 2007, lui aussi touché par une multitude de problèmes mais qui devrait être en service en 2017, un an avant l'EPR finlandais.
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Malgré l'expérience énorme d'Areva pour équiper des réacteurs dans le monde entier, M. Virolainen a rapidement compris que la spécialité des Français était l'ingénierie, pas la gestion de projet. Ils avaient pourtant signé un contrat "clés en main", offrant à l'exploitant TVO une excuse à sa passivité.
"À nos yeux, TVO, en tant que donneur d'ordres, est responsable de la centrale, peu importe le type de contrat", souligne M. Virolainen, interrogé par l'AFP.
Il ajoute que l'électricien finlandais manquait aussi d'expertise, la dernière construction de réacteur nucléaire dans le pays remontant aux années 1970.
L'apparition de problèmes a surpris tous les acteurs au début. Lui et un ingénieur en charge du nucléaire au ministère de l'Économie, Jorma Aurela, pointent du doigt les défauts de la planification tracée à l'origine par Areva et Siemens.
Selon M. Aurela, "les plans n'étaient pas finis alors que la construction avait déjà commencé", s'avérant très loin du niveau de détail et de la qualité exigés en vue d'un produit fini sûr et du feu vert d'un régulateur.
"Nul n'est parfait"
Lors de la visite, le chef de projet pour Areva, Jean-Pierre Mouroux, a tenu à tempérer les accusations. "On a fait au mieux, les équipes ont fait au mieux les deux côtés", insiste-t-il auprès de l'AFP.
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"Nul n'est parfait, on peut toujours faire mieux, ça c'est sûr. On aurait pu faire mieux. C'est (...) un grand projet, il y a des risques dans tous les projets", ajoute-t-il.
En Finlande, les critiques ont été virulentes.
En plus de ses innombrables remarques et d'une surveillance sur site permanente, STUK a lancé deux enquêtes approfondies en 2006 et 2011. Les rapports, consultés par l'AFP, sont accablants.
Le régulateur est intervenu quand l'étanchéité de la dalle de béton, sur laquelle est posé le réacteur, s'est montré inadaptée.
L'enquête a révélé que des ouvriers n'étaient pas au fait des standards de sécurité propres à la construction nucléaire.
Certains d'entre eux ne parlaient aucune langue en commun avec leurs supérieurs hiérarchiques, sur un chantier où cohabitaient des dizaines d'entreprises et une soixantaine de nationalités.
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Une deuxième enquête a été déclenchée quand STUK a mis au jour la conception de mauvaise qualité des générateurs diesels qui servent en cas de perte de l'approvisionnement en énergie de la centrale. Là encore, la responsabilité incombait à une planification inadéquate et une impéritie dans la sous-traitance.
Celle-ci était faite de longues chaînes d'entreprises, qui ont constitué le coeur du problème en assurant une mauvaise transmission des normes et exigences de sûreté.
Mais désormais, STUK et le gouvernement d'Helsinki que la Finlande finira avec un réacteur sûr et performant.
"Vers 2012, 2013, j'ai commencé à percevoir que nos messages passaient. Les documents de planification sont devenus meilleurs et aujourd'hui tout paraît aller bien pour l'équipement en systèmes automatisés", estime M. Virolainen.
Cette phase est la dernière de la construction, avant celle des tests de production d'électricité.
"Je regarde devant moi", a conclu M. Mouroux.