"Je ne suis pas Charlie" : au-delà de la condamnation sans appel des attentats meurtriers perpétrés contre les journalistes de Charlie Hebdo, le débat sur la liberté d'expression et le droit d'offenser fait rage à l'étranger entre défenseurs et détracteurs du journal satirique.
L'assassinat la semaine dernière à Paris par trois jihadistes de 17 personnes dont 12 au siège de l'hebdomadaire a connu un retentissement mondial sur Facebook et Twitter où des millions d'internautes ont exprimé leur solidarité avec les victimes en se rangeant sous le hashtag #JeSuisCharlie.
Et des dizaines de milliers de personnes dans le monde ont défilé dimanche au moment même où 3,7 millions d'autres battaient le pavé à Paris et en province, un record absolu depuis la Libération en 1944.
Des voix discordantes tentent toutefois de se faire entendre (et comprendre ) face à ce qu'elles considèrent comme une communion artificielle qui escamote l'examen sur les racines du mal ou célèbre une publication "raciste" visant avant tout les musulmans.
#JeNeSuisPasCharlie
Le hashtag #JeNeSuisPasCharlie concentre sur Twitter ces critiques de nature parfois très différente: "Bizarrement quand je dis #JeNeSuisPasCharlie on m'insulte mais quand Charlie insulte notre prophète ça devient de la liberté d'expression", écrit @SinanLeTurc tandis que @arthurtutinTW dit "Stop au marketing sur les sujets les plus douloureux".
Editorialistes et leaders d'opinion ont également exprimé leur malaise à l'étranger, dans des pays à majorité musulmane mais aussi aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pays qui ont payé un lourd tribut au terrorisme islamiste.
Dans les colonnes du New Yorker, l'écrivain nigérian-américain Teju Cole écrit : "Ce qui est en jeu n'est pas tant le droit de dessiner ce que l'on veut mais le fait que, à cause des meurtres, les dessins doivent être célébrés et reproduits".
"Ce n'est pas parce qu'on condamne leur odieux assassinat qu'on doit embrasser leur idéologie", ajoutait-il.
Limites de la satire
A Londres, le Guardian défendait peu ou prou le même point de vue.
"Le soutien au droit inaliénable d'une publication de suivre ses propres jugements éditoriaux n'oblige pas à faire écho à ces jugements", a plaidé le journal alors que des lecteurs ou des collaborateurs de Charlie Hebdo ont regretté que d'autres journaux n'aient pas relayé leurs caricatures après la tragédie.
Dans le même quotidien, le dessinateur Joe Sacco trace "les limites de la satire" à travers quelques planches sur "un noir qui tombe d'un arbre une banane à la main" et "un juif qui compte son argent", les comparant aux caricatures de Charlie Hebdo sur les musulmans. "Je suis bien autorisé à offenser, n'est-ce pas?", feint-il de s'interroger.
A rebours, le célèbre dessinateur Art Spiegelman a quant à lui dénoncé dimanche à Pékin "l'hypocrisie" de la vaste majorité de la presse américaine qui, tout en prônant haut et fort la liberté d'expression, refuse de publier les caricatures de Charlie Hebdo.
Art Spiegelman considère que le journal libertaire a rempli sa "mission" en publiant en 2006 une caricature controversée de Cabu, dans laquelle Mahomet se cache les yeux et juge que "c'est dur d'être aimé par des cons".
"Ce dessin ne se moque pas du prophète. Il fustige les fidèles prêts à tuer", a souligné à l'AFP l'Américain, créateur de la mythique BD "Maus" sur la Shoah.
Les caricaturistes de Charlie Hebdo ont souvent rappelé, dessins à l'appui, qu'ils n'épargnaient ni le christianisme ni le judaïsme et que leur cible était l'intolérance et le fondamentalisme. La conférence de rédaction du mercredi 7 janvier au cours de laquelle le massacre a eu lieu était consacrée à la lutte contre le racisme.
En Asie, plusieurs organes de presse, en particulier dans des pays avec des lois très restrictives en matière de liberté d'expression, ont condamné les attentats tout en dénonçant la "ligne Charlie Hebdo".
Pour le New Straits Times, organe officiel du gouvernement malaisien, l'hebdomadaire français "ne pouvait répandre impunément son message qui confine à la haine".
En Chine, où la presse est censurée, si le très officiel Global Times a appelé "la communauté internationale à défendre l'intégrité physique des éditeurs du magazine", il estime que "cela n'oblige personne à prendre parti pour leurs dessins controversés".