Avant l'offensive du Pakistan dans leur bastion du nord-ouest, des centaines de combattants talibans et d'Al-Qaïda se sont précipités chez le barbier pour se faire raser et ont fui, selon des témoignages locaux qui révèlent également le goût des jihadistes pour certains produits occidentaux.
Azam Khan était l'un des barbiers les plus connus de Miranshah, la principale ville de la zone tribale du Waziristan du Nord, avant d'être poussé à l'exil face à l'offensive déclenchée fin juin par l'armée pour "nettoyer" ce qui était devenu l'un des tous premiers bastions des rebelles islamistes dans la région.
Il venait alors d'enregistrer un de ses meilleurs mois: juste avant l'offensive, les rebelles se sont précipités chez lui pour se faire raser barbes et cheveux longs.
"Au total, j'ai dû raser plus de 700 combattants locaux et ouzbeks juste avant l'opération", dit-il en faisant une coupe dans un salon de coiffure de Bannu, ville proche du Waziristan du Nord où nombre de ses habitants se sont réfugiés.
Avant cela, les rebelles lui demandaient de laisser leurs boucles longues, indémodables sur tous les territoires de jihad, du Moyen Orient à l'Afghanistan.
"Ils voulaient cette fois un rasage de près et des cheveux très court. Ils disaient qu'ils devaient se rendre dans le Golfe, et voulaient ainsi éviter les problèmes dans les aéroports pakistanais", dit M. Khan.
- Parfums de France -
Le Waziristan du Nord, une enclave montagneuse frontalière de l'Afghanistan reculée et traditionnellement rétive à l'autorité de l'Etat, était devenue depuis dix ans un sanctuaire pour toute une nébuleuse de combattants islamistes: talibans afghans traqués par les Américains qui avaient passé la frontière, combattants étrangers d'Al-Qaïda (Ouzbeks, Ouïghours notamment), talibans pakistanais du TTP, en guerre eux contre Islamabad....
Islamabad a lancé l'offensive à la mi juin après plusieurs années d'hésitations, et sous la pression de ses alliés dont les Etats-Unis, lassés de voir la zone servir de base arrière à des talibans afghans tels que le réseau Haqqani, connu pour ses attaques sanglantes contre les forces occidentales en Afghanistan.
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Jetés sur les routes, les habitants du Waziristan ont confié à l'AFP quelques détails sur la vie sous la férule des rebelles. Hikmatullah Khan, un commerçant de Miranshah, se rappelle d'abord qu'ils l’avaient assujetti de force à une sorte d'impôt révolutionnaire de 300 roupies (3 dollars) par mois. Et que ces combattants aux cheveux et barbes longs "aimaient beaucoup acheter des shampooings, savons et parfums étrangers, surtout les parfums français et turcs".
Muhammad Zarif, un marchand de gros, se rappelle de son côté qu'ils achetaient des détergents britannique et huile de cuisson américaine en grande quantité.
- Fuites avant l'offensive -
L'armée pakistanaise a affirmé vouloir cette fois éradiquer définitivement tous les rebelles de la zone "quels qu'ils soient". Mais elle n'y a jusqu'ici rencontré que très peu de résistance, et de multiples témoignages locaux suggère que la majorité des rebelles avaient fui avant même le début de l'opération.
"Il est clair que les rebelles étaient au courant de l'offensive avant même son lancement. Beaucoup ont fui", note également un diplomate occidental.
Le Pakistan a longtemps été accusé de faire une distinction entre "bons talibans", notamment les rebelles afghans de type Haqqani dont il a soutenu l'émergence dans les années 1990 pour peser sur les affaires afghanes, et les "mauvais talibans" du TTP dont les attentats sanglants visent eux Islamabad.
Selon ces sources locales, il resterait environ 2.000 rebelles dans la zone, contre près de 10.000 avant l'offensive, des chiffres à prendre avec prudence. La plupart auraient juste traversé la très poreuse frontière et gagné l'Afghanistan, de plus en plus déserté par l'Otan qui se prépare à quitter le pays.
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Parmi les fuyards on trouverait notamment une partie des Haqqani, également très implanté dans l'est afghan. A l'inverse, une partie des talibans pakistanais du TTP, souvent originaires du Waziristan, y seraient eux restés, pour se soumettre ou combattre, selon ces sources.
L'armée affirme à ce jour avoir tué près de 500 personnes, tous des rebelles, un bilan impossible à confirmer de source indépendante. Et se dit prête à rester ensuite pour aider au développement du Waziristan du Nord et éloigner ainsi sa jeunesse des tentations rebelles.
"Islamabad semble décidé à vouloir en finir avec les repaires tribaux du TTP", note le diplomate occidental. "Mais va-t-il en faire de même avec Haqqani? C'est toute la question".