Les activistes turcs à l'origine des émeutes antigouvernementales de 2013 ont appelé leurs troupes à redescendre dans la rue samedi pour marquer le premier anniversaire de ces émeutes, face à un régime qui a resserré sa mainmise sur le pays.
Parti d'une poignée d'écologistes opposés à la destruction du petit parc Gezi qui domine l'emblématique place Taksim d'Istanbul, ce combat, nourri par la violence de la répression policière, a dégénéré en une vague de contestation sans précédent contre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2003.
Pendant les trois premières semaines de juin, les Turcs --plus de 3,5 millions selon le décompte officiel-- ont battu le pavé d'une centaine de villes du pays pour exiger, comme dans les "printemps arabes", plus de démocratie.
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Un an après, c'est la flamme de cet "esprit de Gezi" que les manifestants veulent raviver, pour dénoncer la dérive autoritaire de l'homme fort du pays.
"Pour rappeler au monde que nous n'avons pas renoncé à nos exigences et à nos victoires, nous serons (samedi) à Taksim", a proclamé Taksim Solidarité, le collectif d'ONG et d'acteurs de la société civile qui a pris la tête du mouvement.
Cet appel à manifester laisse présager de nouvelles violences. Car, comme lors du 1er mai, la place Taksim a été décrétée zone interdite par le gouverneur d'Istanbul, qui a mobilisé 25.000 policiers pour en interdire l'accès.
"Le gouvernement entretient un climat de tension qui encourage les violences policières", a déploré la porte-parole de Taksim Solidarité, l'architecte Mücella Yapici.
Les forces de l'ordre avaient sévèrement réprimé les manifestations de Gezi: 8 morts, plus de 8.000 blessés et des milliers d'arrestations. "Des violations des droits humains à très grande échelle", selon Amnesty International.
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Depuis, le régime islamo-conservateur s'est appliquer à briser toute contestation.
La presse est largement muselée et des centaines de manifestants sont menacés de lourdes peines de prison. "Les autorités turques ont engagé une chasse aux sorcières contre tous ceux qui ont manifesté ou font entendre leur voix", a dénoncé le président de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), Karim Lahidji.
- Répression -
Dans la foulée du scandale de corruption qui l'a éclaboussé en décembre, M. Erdogan a purgé la police et la justice, adopté des lois pour contrôler les magistrats et les réseaux sociaux et renforcé les pouvoirs de ses services de renseignements.
L'opposition a crié à la "dictature" et l'Union européenne (UE) s'est inquiétée de cette dérive incompatible avec son entrée dans l'Europe des 28. Mais rien n'y a fait.
Conforté par la large victoire de son parti aux élections municipales, M. Erdogan, qui vise désormais la présidentielle d'août, reste sourd à toutes les critiques, enfermé dans ses théories du complot. "A chaque fois que les choses vont bien, il y a des gens qui essaient de semer le trouble en Turque", a-t-il encore répété mardi.
"Gezi a été le révélateur de ce que nous constatons aujourd'hui", analyse Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'UE à Ankara et chercheur à la fondation Carnegie. "M. Erdogan défend une conception autoritaire de la démocratie, qui ne convient pas à la moitié de son pays et n'est pas compatible avec notre modèle libéral".
Depuis un an, la plupart des manifestations sont ainsi réprimées en Turquie.
Seules celles qui ont suivi les obsèques de Berkin Elvan, un jeune de 15 ans décédé en mars des suites de blessures infligées par la police, ont été tolérées. Elles ont réuni des centaines de milliers de personnes dans tout le pays.
Même les familles des victimes de la catastrophe minière de Soma, qui a fait 301 morts le 13 mai, ont été noyées sous les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Et la semaine dernière, deux personnes ont été tuées à Istanbul en marge de rassemblements à la mémoire des mineurs disparus.
Malgré la fermeté du gouvernement, beaucoup veulent croire que la graine d'ouverture plantée à Gezi finira par germer.
"Le fantôme de Gezi continue à planer au-dessus d'Erdogan", juge Soli Ozel, politologue à l'université Kadir Has d'Istanbul. "Les manifestants ont peut-être été réduits au silence, mais le mécontentement est toujours là, et va continuer à s'étendre".
"Je suis persuadé qu'un gouvernement ne peut pas éternellement opprimer son peuple", confirme la porte-parole de Taksim Solidarité, Mücella Yapici. Son procès s'ouvre le 12 juin, elle y risque trente ans de prison.