Ils se sont présentés chez elle, dans le nord du Sri Lanka, en assurant qu'ils étaient des amis de son défunt mari: ces hommes, qu'elle soupçonne d'être des agents des forces de sécurité, l'ont agressée sexuellement et menacent de recommencer.
Effrayée et seule, Gowry a empaqueté ses affaires précipitamment et s'est enfuie avec ses deux jeunes enfants, déménageant pour la troisième fois au sein de l'ancienne zone de guerre dans le nord du pays.
"Deux hommes se sont présentés comme étant des amis de mon mari, aussi je les ai accueillis", raconte t-elle à Jaffna. "Ils ont déchiré ma robe et m'ont poussée dans ma chambre. Je suis tombée et j'ai crié", ajoute-t-elle.
"Ensuite ils se sont enfuis mais m'ont rappelée pour me dire qu'ils reviendraient une nuit", dit-elle à l'AFP.
La guerre civile au Sri Lanka s'est achevée en 2009 mais de nombreuses femmes de la minorité tamoule craignent encore pour leur sécurité dans l'ancienne zone de conflit en raison des nombreux cas de viols et agressions sexuelles.
Gowry, qui ne donne pas son nom par crainte de représailles, a perdu son mari dans les derniers mois de combats en 2009 quand la rébellion séparatiste des Tigres tamouls a été écrasée par les forces gouvernementales.
Elle fait partie des 89.000 veuves de guerre habitant l'ancienne zone de guerre, et comme elle, environ 40.000 femmes sont seules pour faire vivre leur foyer.
Nombre d'entre elles souffrent de l'insécurité et d'une marginalisation accrue, selon un récent rapport de l'ONG Minority Rights Group International (MRG), basé à Londres.
Interrogées sur place par l'ONG, des femmes ont raconté que les cas d'agressions sexuelles s'étaient multipliés depuis la fin de la guerre, en raison essentiellement d'une forte présence armée.
"Elles sont seules et sont par conséquent plus en contact avec la sphère publique, ce qui les rend plus vulnérables, car elles doivent entrer en contact avec des militaires et d'autres autorités", relève Farah Mihlar, experte de MRG pour l'Asie du sud.
Elles se sentent aussi menacées par les hommes d'autres groupes ethniques, en particulier de la majorité cingalaise, qui arrivent en masse pour faire des affaires dans la région où les investissements sont en forte hausse depuis la fin de la guerre civile, selon Mme Mihlar.
"Climat d'impunité"
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"Même quatre ans après la fin de la guerre, il existe encore un fort sentiment de triomphalisme, l'impression selon laquelle +nous avons gagné et nous pouvons donc faire ce que nous voulons+", ajoute-t-elle au sujet de l'armée.
Selon un militant des droits de l'homme sur place, dont le nom ne peut être rendu public, environ 400 cas de viols visant des veuves de la région de Jaffna ont été enregistrés depuis la fin de la guerre mais selon lui, "ce n'est que la partie émergée de l'iceberg".
MRG accuse le gouvernement de maintenir "un climat d'impunité".
"Il n'y a pas de justice dans les anciennes zones de guerre. Aucun militaire n'a été jugé pour des violences sexuelles contre des femmes depuis la fin de la guerre, " dit Mme Mihlar.
"Par conséquent, les femmes trouvent inutile et dangereux de porter plainte puisque cela les placerait sous la menace. Les agresseurs continuent de roder parmi elles, ce qui est extrêmement dangereux et inquiétant pour elles", ajoute-t-elle.
Un porte-parole de l'armée sri-lankaise a condamné le rapport de MRG et qualifié les accusations de "mythe".
"Nous démentons de la manière la plus ferme l'existence d'une culture du silence et d'impunité pour les crimes sexuels" dit ce porte-parole, le général de brigade Ruwan Wanigasooriya, dénonçant la "propagande" de la diaspora tamoule.
Selon l'armée, 17 militaires ont été impliqués dans des violences sexuelles dans le nord du Sri Lanka entre 2007 et 2012 et ils ont été punis ou évincés.
Mais une autre étude récente, réalisée par Human Rights Watch (HRW), va plus loin en estimant que le viol est une forme de torture à laquelle les forces de sécurité ont recours de façon généralisée.
L'ONG a détaillé 75 cas de femmes ou d'hommes victimes de viols ou d'abus sexuels présumés dans des centres de détention en divers lieux du Sri Lanka. La plupart des victimes ont été interrogées après leur départ du Sri Lanka et ne constituerait qu'une fraction du nombre réel de cas, selon l'ONG.
Depuis la fin de la guerre, le nombre de militaires dans le nord de pays est passé de 45.000 à 15.000 pour moins d'un million d'habitants, selon l'armée.
Mais les ONG s'inquiètent également de l'implication croissante des militaires dans la vie économique: gestion d'hôtels, de golfs ou même vente de légumes, secteur dans lequel ils concurrencent les femmes.
La lutte contre les violences faites aux femmes doit passer par une restitution de pouvoir aux autorités locales du nord et par le recrutement de policiers parmi les communautés locales, plaide Paikiasothy Saravanamuttu, qui dirige le Centre for Policy Alternatives (CPA) à Colombo. Selon lui, si le gouvernement veut réussir la réconciliation nationale, il doit mettre fin à la forte présence militaire dans le nord tamoul.