Elle est invisible depuis 17 mois, et à part ses avocats, nul ne sait où elle vit. Mais Nafissatou Diallo, la femme de chambre qui devrait lundi mettre fin à sa procédure contre DSK, continue à déranger, jusque dans sa communauté guinéenne à New York.
Dans le Bronx, près du tribunal où elle est attendue lundi, son nom a depuis longtemps disparu des boîtes aux lettres de son immeuble de brique rouge, au 1040 Gerard avenue. Ici, personne ne s'en souvient.
"Je suis là depuis quatre ans, jamais entendu parler", marmonne une habitante pressée. "La femme de chambre, vraiment ?" s'esclaffe interloqué Elijah, 28 ans, passé prendre son frère qui vit là depuis un an.
"Il y eu beaucoup de changements de locataires", explique le nouveau concierge, George Garcia: "Il y avait des affaires de drogue, des trafics, nous avons dû faire le ménage".
Près de la mosquée Futa, modeste bâtisse aux rideaux de fer que Nafissatou Diallo fréquentait sur la 3e avenue, les femmes et les hommes ne prient pas au même étage. "On ne la connaît pas, on ne parle pas", commente prudemment le patron de l'African market, une petite épicerie où sa femme en niqab tient la caisse. Dans l'arrière-boutique, quelques habitués regardent une chaîne de télévision guinéenne en français. Mais refusent de parler.
Une fois passée la méfiance, pourtant, tout le monde semble connaître l'affaire.
Entre les cartons de gingembre et d'oignons, le patron évoque les autres ennuis de Dominique Strauss-Kahn en France. Il écoute attentivement les derniers développements.
Personne ne s'offusque de ce que la procédure civile se termine sans procès, par un gros chèque pour la femme de chambre de 33 ans, mettant un terme à une histoire qui, "ça c'est sûr", a fait une mauvaise publicité à la communauté guinéenne.
La dignité des femmes africaines
Mais dans le "Jalloh family restaurant" voisin, la cuisinière, Awaa, 37 ans, est sans pitié pour Nafissatou. "En tant que femme, vous devez avoir de la dignité", dit-elle. Awaa est persuadée que Nafissatou Diallo a menti: "L'Afrique a beaucoup de problèmes, ils font des choses très graves contre les femmes, et maintenant, plus personne ne croira aucune Africaine".
Osman Diallo (sans lien de parenté), qui gare sa grosse voiture devant la mosquée, est lui "content" que cela se finisse: "Cette affaire n'était pas bonne". Lui croit en l'honnêteté de la femme de chambre qui a accusé DSK d'agression sexuelle.
"Quand vous êtes le patron du FMI, vous pouvez payer", estime aussi Elijah: "Il aurait dû savoir, il faisait des transactions sans arrêt, pour les pays pauvres". Donc c'est "tant mieux pour elle si elle reçoit beaucoup d'argent".
"C'est de l'argent propre, c'est une victime", explique aussi Al Hassan Bah, attablé dans un minuscule restaurant guinéen, "Le Tiguet", sur la 30e rue à Manhattan. "Mais dans mon pays on est musulmans, certains n'aiment pas, c'est comme si on l'avait payée pour le faire", ajoute-t-il.
Pourra-t-elle refaire sa vie ? "L'argent lui permettra d'aller au pays de temps en temps", estime-t-il: "Mais elle ne doit pas y retourner définitivement. Car là-bas, il n'y a pas de sécurité. Et certains pensent qu'elle n'a pas dit la vérité. Ils pourraient la tuer".
Amadou Diallo (sans lien de parenté non plus), assis à la même table, n'est lui pas content de l'accord amiable: "Il est coupable, il doit payer, mais il doit aussi aller en prison", dit-il à propos de DSK.
"Autrement, il le refera", renchérit son voisin Aguibou Sall.
Rose-Thérèse Diallo (aucun lien), qui mange avec une amie à la table voisine regrette aussi l'accord amiable, mais pour une autre raison: "Tout le monde a droit à un procès", dit-elle. "Et c'était mieux, pour la dignité de toutes les femmes africaines qui vivent ici. Jamais je n'aurais accepté de régler l'affaire, même pour des millions de dollars. Car rien n'est à vendre du corps de la femme africaine".