Le Vatican, si secret, a fait malgré lui la une des journaux cette année, pris dans un scandale de fuite de documents confidentiels - dit «Vatileaks». Caroline Pigozzi, grand reporter à Paris Match, plongée dans cet univers très codifié depuis seize ans, a suivi l’affaire de près.
Dans son ouvrage Le Vatican indiscret (éditions Plon), qui sort jeudi, elle entrouvre les portes de l’Etat pontifical et raconte ce qui se trame derrière ses hauts murs.
Votre livre démarre avec l’affaire du Vatileaks. En quoi a-t-elle bouleversé le Vatican ?
Caroline Pigozzi : cette affaire a surtout bouleversé le pape car il pensait qu’il n’avait pas à se méfier de son entourage direct, qui est devenu une sorte de famille pour lui. Apres cela, au Vatican, le mot d’ordre a été de ne plus recevoir de journalistes pour l’instant, de faire attention à nous. On a été diabolisé.
Vous décrivez la culture du langage codé et de la messe basse qui règne au Vatican, pourquoi cette obsession du secret ?
Au Vatican, il faut s’exprimer le moins possible car tout ce qu’on dit peut être commenté et retenu contre soi. Tout est affaire de diplomatie. Cela fait vingt siècles que c’est ainsi. Le dicton « la parole est d'argent et le silence est d'or » convient parfaitement au Vatican.
Vous décrivez un pape simple, qui aime la solitude au quotidien. En quoi est-il différent de son prédécesseur?
Benoît XVI aime bien le cérémonial mais il est par ailleurs viscéralement solitaire. Jean-Paul II voulait séduire, il aimait qu’on l’aime. Benoît XVI n’est pas du tout sur ce registre-là. Il s’appelle Benedictus, ce n’est pas un hasard, il a l’un instinct d’un moine bénédictin, d’un intellectuel qui rentre dans sa coquille. Mais en même temps, il est étonnamment ouvert à la communication pour un homme de 85 ans [le pape a désormais un compte twitter, ndlr], il s’y plie et se rend compte que c’est important.
Vous écrivez que la succession de Benoît XVI se prépare. Comment les cardinaux font-ils campagne ?
Le Vatican est entré pleinement dans l’ère de la mondialisation. Aujourd’hui les cardinaux étrangers comptent autant que les Italiens, il faut que les prétendants soient prêts à la diplomatie, à voyager de par le monde, qu’ils parlent plusieurs langues. On ne peut plus rester provincial. Par exemple, le cardinal Maradiaga, du Honduras, est président de l’ONG Caritas. Le cardinal hongrois Erdö est pour sa part, à la tête des Conférences épiscopales d’Europe. Ces ambitieuses éminences ont compris qu’il fallait avoir une tribune et ne pas rester chez soi. Ces cardinaux doivent aussi écrire des livres, faire des conférences, bref publier pour se faire connaitre, comme un professeur de médecine qui vise le prix Nobel.
Sans forcément se montrer dans les medias ?
C’est un calcul subtil. Il faut apparaitre, mais pas trop pour ne pas irriter le Vatican. C’est là que l’intelligence, la prudence et le savoir-faire interviennent. Le dosage est extrêmement compliqué.
Un cardinal jeune peut-il devenir pape ?
Je pense qu’il faut une solide expérience (le benjamin a 53 ans). Le Vatican, c’est un peu comme les courses de chevaux, où il faut connaitre le terrain, le jockey, le cheval et le temps. Là, il faut maîtriser le lieu, la psychologie, les personnages et capter l’atmosphère. Sans cela, comme à cheval, vous tombez, mais par contre vous ne remontez jamais, car c’est un petit univers, violent, où tout est exacerbé et où l’on n’a pas le droit à l’erreur.
Comment avez-vous fait pour vous faire accepter, d’abord en tant que femme ?
Je me suis toujours habillée en noir, presque comme une bonne sœur, hormis le fait que je me maquille et porte des perles. Puis il faut avancer sans faire de vagues, pas à pas, avec patience, car le temps du Vatican est très long. Et il ne faut jamais se révolter. Par exemple, quand le pape Benoît XVI a été élu, j’avais envoyé très tôt un questionnaire pour une interview. Il a été transmis à un journaliste allemand, qui l’a fait paraître à son compte dans un journal de son pays. N’importe qui aurait enragé, mais il n’était pas question pour moi de le montrer, car cela aurait handicapé l’avenir.
Vous avez rencontré personnellement Jean-Paul II et Benoît XVI, qu’est-ce-qui vous a le plus marqué ?
Le regard de Jean-Paul II, qui ne regardait pas au-dessus de votre tête, comme le font généralement les hommes politiques. Il vous fixait droit dans les yeux. On avait l’impression que le monde s’arrêtait. Il était aussi très curieux et spontané, me posait des questions sur le tirage de Paris Match en Pologne… Benoît XVI est aussi très affable, il essaie de mettre les gens à l’aise. On est dans le respect absolu, mais pas vraiment dans l’échange.
Caroline Pigozzi, spécialiste des religions. [crédit: Alvaro Canovas]
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