"Ici, il n'y a pas de frontière entre les vivants et les morts": près d'un mois après le passage de l'ouragan Sandy, les habitants du quartier "Nan banann" de Petit-Goave, dans le sud-ouest d'Haïti, vivent toujours dans des conditions extrêmement précaires.
Le quartier, dont le nom créole signifie "Dans les bananes", est situé entre une rivière et le bord de mer: le passage de l'ouragan Sandy l'a dévasté. Ses habitants pleurent leurs morts, et se lamentent devant le spectacle de leurs petites maisons toujours ensevelies sous des couches de boue et des plantations de bananes ravagées par les inondations.
"C'est la rivière Caïman qui est la cause de nos malheurs. Quand elle quitte son lit, elle prend tout sur son passage", résume Elnée Prophète, une des sinistrées des dernières intempéries, en montrant ce qui reste de sa maison, enfouie jusqu'au toit dans une boue rougeâtre.
A "Nan banann", beaucoup de familles ont été évacuées dans un lycée d'un autre quartier, mais d'autres sont restées sur place. Des femmes couchent sur des bouts de tissus crasseux, comme Marie-Yolaine, 24 ans, qui a perdu son enfant emporté par les eaux. Elle refuse de parler: "A quoi ça sert?", murmure-t-elle en sanglots.
"Nan banann" est érigé à côté du cimetière de la ville: "Ici, il n'y a pas de frontière entre les vivants et les morts", médite Guy Mathieu, le propriétaire d'une station de radio.
Sandy a inondé plusieurs quartiers de Petit-Goave, comme l'Acul, "première capitale de la colonie de Saint-Domingue", rappelle avec une pointe d'amertume Guy Mathieu, soulignant que la ville historique s'apprête à marquer en 2013 les 350 ans de sa création.
"Nous dormons d'un oeil"
"Petit-Goave est comme une cuvette où viennent se déverser les eaux de plusieurs rivières", souligne-t-il. "Le problème c'est l'eau, savoir la gérer est la solution", renchérit Dordy Charles, un habitant de la ville qui préconise la construction de barrages en pierres pour contenir les rivières dans leurs lits.
Dans les quartiers vulnérables, chaque pluie est vécue comme une catastrophe: "Nous dormons d'un oeil", raconte un jeune garçon.
"Après les premiers secours d'urgence, plus personne n'est venu nous voir. Nous sommes jetés dans ce lycée où les adultes comme les enfants dorment à même le sol, nous n'avons reçu aucune assistance", raconte Paguy Labbard hébergé avec 300 autres personnes dans quelques pièces d'un lycée de Petit-Goave.
Immaculée Achille, une grand-mère déjà victime du terrible séisme de janvier 2010, se retrouve à nouveau dans un centre d'hébergement avec ses 8 petits-enfants, dont elle s'occupe depuis la mort de leurs parents.
"Nous ne pouvons pas rentrer à la maison, tout a disparu. Nous ne voulons pas demeurer ici", raconte-t-elle, appelant à une intervention de l'Etat. Elle se souvient avoir reçu, le premier jour après le passage de l'ouragan, un plat chaud, officiellement envoyé par le président Michel Martelly: "Depuis... rien".
"Il faudrait un Etat fort, un Etat qui est présent. Mais on ne voit personne, même pas les autorités locales", regrette lui aussi Dordy Charles.
Près d'un mois après le passage de l'ouragan, des sinistrés se sentent abandonnés à leur sort, la situation d'urgence nationale décrétée par le gouvernement n'a pas encore d'effets dans les régions les plus touchées par les intempéries.
"Je crois que le gouvernement a de la volonté, mais les actions tardent à venir", leur répond le député Joseph Benoit Laguerre.