La violente crise qui secoue les mines sud-africaines montre qu'une partie des travailleurs n'a plus confiance dans les syndicats traditionnels, garants jusqu'ici d'une certaine paix sociale malgré les profondes inégalités qui minent la société.
Les fortes augmentations de salaire arrachées cette semaine à la mine de platine de Marikana (nord) l'ont été après une très longue grève émaillée de violences ayant fait 46 morts, et qui a complètement débordé les structures en place.
S'ils saluent l'accord, de nombreux observateurs y voient une invitation pour les mineurs d'autres sites à lancer des grèves sauvages sur le même modèle.
C'est déjà le cas depuis quelques jours chez les producteurs de platine et d'or Anglo American Platinum (Amplats) et Gold Fields, où les grévistes se sentent encouragés par ce qui est considéré comme une victoire de leurs camarades de Marikana.
Au grand dam du patronat et de la puissante confédération syndicale Cosatu (Confédération des syndicats sud-africains), dont la principale composante est le Syndicat national des mineurs (NUM).
Comme le gouvernement, ils ont peur de l'anarchie.
Les relations sociales sont depuis longtemps très formalisées en Afrique du Sud, les syndicats représentatifs ayant l'exclusivité des négociations avec les employeurs, à travers un processus extrêmement balisé.
Les syndicats s'étaient d'ailleurs affirmés comme l'une des forces d'opposition les plus actives contre le régime de l'apartheid. Et la Cosatu est depuis sa fondation en 1985 alliée du Congrès national africain, l'ANC.
Cette alliance --et la discipline des adhérents-- a sans doute évité une explosion sociale quand l'ANC est arrivée au pouvoir en 1994.
Des méthodes souvent musclées
Mais s'il a longtemps permis de canaliser les aspiration d'un prolétariat noir exploité par la minorité blanche, l'édifice commence à se fissurer, sur fond de luttes de pouvoir à l'approche du prochain congrès de l'ANC, organisé en décembre à Mangaung (Bloemfontein, centre).
Les dirigeants de la Cosatu sont de plus en plus accusés d'être coupés de la base. Et d'être trop liés à l'ANC, dont de nombreux dignitaires font des affaires et siègent aux conseils d'administration des plus grands groupes du pays.
La presse sud-africaine s'est particulièrement amusée à la vue du parking du congrès de la confédération syndicale, cette semaine: les puissantes berlines qui y étaient garées contrastaient avec les déploiements de drapeaux rouges et les discours progressistes prononcés dans le luxueux centre de conférence de la banlieue de Johannesburg.
Sur le terrain, les permanents du NUM sont souvent accusés de collusion avec la direction, au détriment des intérêts des travailleurs.
Or, une phrase revient souvent, quand on interroge les mineurs: "C'est l'enfer." Les conditions de travail sont difficiles et leurs logements sont souvent déplorables.
Quand bien même, comme le fait remarquer la Chambre des mines, les salaires des mineurs sont fort convenables pour l'Afrique du Sud. Mais les employés font souvent vivre de très nombreuses personnes avec, alors que le chômage touche effectivement près de 40% de la population.
Dans ce contexte, la toute puissance du NUM est de plus en plus contestée. Notamment par le petit syndicat radical Amcu (Association des mineurs et de la construction), mais aussi par des groupes non syndiqués, qui pensent qu'ils n'ont pas grand chose à perdre.
Comme à Marikana, les grèves sauvages se multiplient depuis le début de l'année. Les méthodes sont souvent musclées, pour empêcher les non grévistes d'aller pointer: les menaces, verbales ou physiques, sont courantes, et des cadavres sont régulièrement retrouvés.
La perspective du congrès de l'ANC n'est pas étrangère à cette agitation, selon de nombreux observateurs. Et le bouillant Julius Malema, opposant numéro un du président Jacob Zuma depuis qu'il a été exclu du parti dominant en avril, a appelé tous les mineurs du pays à cesser le travail, accusant Cosatu et NUM de corruption.
A la mine d'or de Kopanang près d'Orkney, à 170 km au sud-est de Johannesburg, c'est une section locale du NUM qui a déclenché une grève sauvage jeudi soir pour demander beaucoup plus que ce que prévoit l'accord de branche qui avait été négocié par... le NUM.