En direct
A suivre

"En se déguisant, James Holmes n’est plus un être humain"

James Holmes comparaît devant la justice américaine le 23 juillet 2012 à Centennial, dans le Colorado[Pool/AFP]

James Holmes, l’auteur de la fusillade d’Aurora (Colorado), a comparu lundi pour la première fois devant la justice américaine. Silencieux, l’air parfois hagard, le jeune homme de 24 ans a pour l’instant gardé pour lui les motivations de son acte fou. Stéphane Bourgoin, auteur de « Mes conversations avec les tueurs » (Ed. Grasset), décrypte la tuerie du « Joker ». 

A quel type de tueur a-t-on affaire ? 

On se rapproche du profil classique du tueur de masse, comme on a pu en voir à Columbine (Colorado, 1999). Il provient d’un milieu social plutôt aisé, mais est très renfermé sur lui-même, introverti, en échec dans ses relations amoureuses ou amicales. Il se réfugie la plupart du temps dans un univers virtuel, non communicant. 

A la différence de Luca Magnotta, James Holmes n’était pas présent sur Internet, restait très discret. Comment expliquer cette différence ? 

Luca Magnotta n’est pas un profil de tueur de masse. Il n’a, à notre connaissance, fait qu’une seule victime, c’est un serial killer. Le tueur de masse est différent, il veut tuer un grand nombre de victimes en un laps de temps très court. La seule comparaison possible avec Magnotta, c’est la même de soif de notoriété. Quand on lit le manifeste d’Anders Breivik (Oslo, 2011), lui aussi a cette envie de célébrité. Il explique bien dans ses écrits avoir volontairement coupé les ponts avec tout son entourage proche, sa famille, ses amis, pour ne pas se faire repérer à l’avance. C’est ce qu’a pu faire Holmes. Peut-être n’aimait-il pas internet, mais il a tout de même posté une annonce sur un site de rencontres. Peut-être a-t-il tout simplement effacé ses traces. 

Issu de la middle-class américaine, bon élève, Holmes n’a pas le profil d’un « raté ». Pourquoi, alors, un tel acte ?  

Il faut oublier l’image de celui qui est totalement marginalisé. Les tueurs de masse en général, Dylan Klebold et Eric Harris (Columbine), Cho Seung-hui (Virginia Tech, 2007), Breivik, Tim Kretschmer (Winnenden, 2009)… Ce ne sont pas des « nullos ». Ils se sont marginalisés eux-mêmes, psychologiquement et socialement, dans leur incapacité à interagir avec un autre être humain. Les anciens professeurs de Holmes commencent à intervenir sur le net, en témoignant qu’il refusait tout dialogue. Il était brillant intellectuellement mais totalement psychorigide. Par exemple, quand ses professeurs lui indiquaient telle ou telle manière de travailler, il se butait complètement.

Revenons maintenant sur l’acte en lui-même. James Holmes est entré dans le cinéma équipé, surarmé. Pourquoi un tel arsenal ? 

C’est ce qu’on retrouve toujours chez les tueurs de masse, cette fascination pour les armes à feu, pour l’image de la toute puissance. Klebold, Harris et Cho Seung-hui étaient vêtus entièrement de noir, Timothy McVeigh (Oklahoma City, 1995) et Nordine Amrani (Liège, 2011) étaient en treillis militaire, Breivik était en policier. En quelque sorte, ils endossent un uniforme qui leur confère une sorte d’armure, une toute puissance pour ne plus être eux-mêmes. Contrairement aux meurtriers en série, les tueurs de masse font des crimes d’imitation. Ils adoptent un code vestimentaire, laissent des testaments ou des blogs numériques sur le net.

James Holmes, dont l’acte s’est produit à l’avant-première du dernier Batman, a indiqué lors de son arrestation être le Joker, ennemi juré du justicier. Un autre signe de sa toute puissance ?

Le tueur endosse un personnage qui n’est pas lui-même, hyperpuissant. En se déguisant ainsi, il n’est plus un être humain, et n’a donc plus de conscience ou de remords par rapport à ses actes. Il devient ainsi l’équivalent de Dieu. Mais dans le même temps, je pense qu’au fonds Holmes doit avoir une piètre opinion de lui-même,  se considérer comme un moins que rien. En mettant ce costume, il devient un monstre planétaire. La médiatisation fait partie de son passage à l’acte. Il faudrait donc à l’avenir qu’on ne publie jamais l’identité de ces individus, ni leurs testaments. Un certain nombre hésiteraient alors à passer à l’acte, puisqu’ils rêvent de passer à la postérité. 

James Holmes s’est rendu sans résistance. Pourquoi ne pas s’être suicidé après son massacre, comme l’avaient fait les tueurs de Columbine ?

Peut-être qu’il a tout simplement la trouille de la mort. Ces tueurs sont des lâches. Il y a en même temps ce désir narcissique de rester dans la lumière, d’être la pour témoigner à son procès. Peut-être Holmes a-t-il choisi de ne pas communiquer, pour que la planète entière se questionne. On le saura a postériori. 

D’un point de vue plus général, cette nouvelle tuerie sur le sol américain peut-elle avoir un impact sur la législation du port d’armes aux Etats-Unis ? 

Obama manque à mon sens de courage par rapport à la situation (Le président américain a annoncé qu’une réflexion serait entamée « dans les prochains jours, les prochaines semaines et les prochains mois », ndlr). Il sait que son élection quasi-certaine peut être remise en cause s’il tente d’aller contre la National Rifle Association (NRA), le lobby pro-armes. Mais les réactions existent. L’Australie a connu le massacre de Port Arthur (1996). Elle a par la suite fait une législation extrêmement restrictive concernant l’accès aux armes automatiques et semi-automatiques, et n’a plus jamais eu de tuerie de ce genre. Les pays comme la Finlande, l’Allemagne, la Suisse, où l’accès aux armes à feu est facilitée, ont connu des tueries de masse. Quand on supprime l’accession aux armes lourdes, forcément, on a moins de chance d’avoir des drames de cette ampleur.

 

Et toujours sur DirectMatin.fr

Fusillade aux Etats-Unis: les criminologues se penchent sur le cas du tueur d'Aurora

Que sait-on sur le tueur d'Aurora

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités