Elle a révélé au grand public un scandale d'initiation rituelle, impliquant des mutilations génitales. Mae Azango, reporter au quotidien libérien Front Page Africa, fait aujourd'hui l'objet de graves menaces et doit se cacher.
Le 8 mars, elle publiait le témoignage d'une jeune femme, excisée à l'âge de 8 ans par des membres des Sandés, sociétés secrètes féminines où les adolescentes sont préparées au mariage et où les mutilations génitales - l'ablation du clitoris dans ce cas précis - sont pratiquées comme rites d'initiation.
Son article était illustré de photos de jeunes filles à peine "initiées" sortant de la forêt.
"Quelques jours plus tard, j'ai commencé à recevoir des appels téléphoniques, toujours anonymes. Une femme me reprochait d'avoir dévoilé leurs secrets, et que j'allais en payer le prix", explique-t-elle à l'AFP, lors d'un entretien dans un lieu tenu secret.
"Je ne faisais que mon travail, mais aujourd'hui j'ai de gros ennuis". La punition pour ceux qui ont trahi ce secret: subir le même rite d'initiation, "que vous le vouliez ou non", s'inquiète-t-elle. "Ils me cherchent depuis des semaines maintenant. Ils sont allés au journal, chez moi. Le pire est qu'ils ont tenté de prendre ma fille de force pour l'exciser".
Des organisations de défense de la presse, des ONG ont demandé au gouvernement d'intervenir, ce qui est compliqué car la justice n'a en théorie pas son mot à dire sur ce sujet relevant du droit coutumier.
"L'excision fait partie de nos coutumes. (...) Si vous violez ce droit coutumier, la loi ne peut rien faire pour vous", constate l'avocat libérien Emmanuel Capeheart. "Si ces femmes mettent la main sur Mae, elles pourront l'emmener dans la forêt et personne ne peut aller là-bas pour l'aider".
Les mutilations génitales, pratiquées dans le cadre de rites d'initiation au sein de sociétés secrètes appelées Sandés pour les femmes, Poros pour les hommes, sont encore un thème tabou au Liberia et il est très difficile de collecter des données exactes sur le sujet.
Présentes dans toute cette partie d'Afrique de l'Ouest, ces sociétés sont toujours bien implantées dans les zones rurales du Liberia, malgré l'impact de la guerre civile sur ces communautés.
"Secret de polichinelle"
Poros et Sandés supervisent et régulent les conduites sexuelles, sociales et politiques des communautés. Les jeunes filles y sont initiées sous le sceau du secret, rendant d'autant plus rare leur témoignage.
L'article d'Azango relatait le cas d'une femme de 47 ans, forcée à l'initiation alors qu'elle n'avait que 13 ans, à cause d'un crime commis par sa mère en 1976.
Selon la journaliste, dix des 16 principales tribus du Liberia pratiquent l'excision.
"Au Liberia, le sujet des mutilations génitales féminines (MGF) est endémique, et en même temps c'est un secret de polichinelle", explique le sociologue Emmanuel Ralph. "Toutes les tribus libériennes sont impliquées dans ces pratiques. Cela peut paraître étrange en Occident, mais cela fait partie de leur tradition. Et le gouvernement a peur d'aller contre ces traditions".
Les menaces contre Mme Azango ont "attiré l'attention du gouvernement", assure à l'AFP le ministre de l'Information Lewis Brown, qui assure que "la police a reçu l'ordre de protéger la journaliste".
La présidente Ellen Johnson Sirleaf est de plus en plus sollicitée pour s'occuper de ces questions, MGF ou homosexualité, en particulier depuis qu'elle a été distinguée du prix Nobel de la Paix en 2011.
"Nous trouvons troublant que le Liberia, qui se vante d'être le premier pays d'Afrique dirigé par une femme, reste silencieux sur une telle controverse", a souligné Front Page Africa dans un récent éditorial.
"Nous espérons que le débat suscité par l'article d'Azango poussera le gouvernement et la société dans son ensemble à éduquer un public pas informé des dangers et des risques" des mutilations sexuelles.
Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), près de 92 millions de filles âgées de plus de 10 ans ont été victimes de mutilation génitales pour des raisons culturelles, religieuses ou sociales.
Ces pratiques ont été interdites dans plusieurs pays, mais pas au Liberia.