C'était le projet de Pierre Bergé, disparu juste avant qu'il soit achevé: le musée Yves Saint Laurent Paris, inauguré jeudi, offre une immersion dans l'intimité de la maison de couture et le processus créatif du styliste de légende.
«J'ai passé toute ma vie à aider Yves Saint Laurent à construire son œuvre et je veux qu'elle dure», disait Pierre Bergé, ancien compagnon du couturier, cofondateur de la griffe, décédé le 8 septembre à l'âge de 86 ans.
Cette œuvre, conservée par les soins de sa fondation, est désormais également pérennisée par deux musées, l'un à Paris, l'autre à Marrakech, qui ouvrira le 19 octobre.
De taille bien moindre que celle du musée marocain, accueilli dans un bâtiment tout neuf, celui qui ouvrira au public le 3 octobre à Paris est installé dans l'hôtel particulier du 19e siècle de l'avenue Marceau (16e arrondissement), où se trouvait la maison de couture jusqu'à sa fermeture en 2002 et qui a ensuite hébergé la fondation.
«Une ruche»
«C'est un musée qui ne privilégie pas seulement une approche esthétique mais aussi historique, c'est un peu la radiographie d'une maison de couture à une certaine époque. C'était une véritable ruche!» explique à l'AFP Aurélie Samuel, directrice des collections de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, qui comptent 35.000 objets, dont plus de 7.000 créations de haute couture.
La visite se fait sur 450 m2 de parcours, dans de petits espaces cloisonnés, qui donnent une impression d'intimité.
Dans l'atelier à l'étage, restitué quasiment à l'identique, on s'attend presque à voir surgir Saint Laurent: ses lunettes sont posées sur son bureau, sa blouse blanche sur le dossier de la chaise, la gamelle de son chien Moujik est disposée au pied de la table.
Dans ce musée uniquement consacré à la haute couture, les pièces emblématiques du couturier qui a «donné le pouvoir aux femmes» sont en bonne place: le smoking, la saharienne, le jumpsuit, le trench coat, devenus des classiques de la garde-robe féminine.
Sur un podium voisin, des pièces de la première collection, en 1962, et en face, des croquis et des photos de sa préparation.
Plusieurs salles abordent les sources d'inspiration de Saint Laurent, disparu en 2008. Dans la partie «voyages imaginaires», une robe africaine de 1967 se dresse comme un totem, ses seins coniques rappelant ceux des corsets, ultérieurs, de Jean Paul Gaultier.
Une cape couverte de broderies de bougainvilliers évoque le jardin Majorelle à Marrakech, à côté d'un ensemble de la fameuse collection des ballets russes de 1976.
L’œuvre de Saint Laurent se nourrit de l'histoire de la mode, avec ses robes de vestales de l'Antiquité, ses longues robes de velours médiévales, jusqu'aux silhouettes des années 1940.
Un grand absent
Cette œuvre dialogue aussi avec l'art, s'inspirant de tableaux de Picasso, Matisse ou Van Gogh, mais surtout avec la fameuse robe Mondrian, créée en 1965, qui donne corps au tableau.
Alors que la mode est de plus en plus présente dans les musées avec des expositions à succès, Yves Saint Laurent avait été le premier couturier à se voir consacrer une rétrospective de son vivant, au Met de New York en 1983.
«Pierre Bergé disait "la mode n'est pas un art, mais il faut un artiste pour la créer"», rappelle Aurélie Samuel, conservatrice du patrimoine. «Je crois que c'est l'histoire qui nous dira si la mode est un art, et quelle mode est un art.»
L'homme d'affaires et mécène est le grand absent de l'inauguration du musée, jeudi, par la ministre de la Culture Françoise Nyssen.
«Nous sommes profondément tristes qu'il ne soit pas là. Mais il aurait voulu qu'on continue», a déclaré à l'AFP le mari de Pierre Bergé, Madison Cox, désormais président de la fondation.
«Il a suivi tout le projet et il m'a dit environ une semaine avant sa mort qu'il allait mourir totalement apaisé. Je pense qu'il était sincère. Il avait tout mis en place.»
Le musée, qui a reçu le label Musée de France garantissant l'inaliénabilité des collections, a vocation à accueillir à partir d'octobre 2018 des expositions temporaires. Le prix des billets va de 7 à 10 euros.