Avec leur livre «Portables : La Face Cachée des Ados» (éd. Flammarion), Céline Cabourg et Boris Manenti partagent une longue enquête sociologique pour en apprendre plus sur le phénomène générationnel des smartphones, des réseaux sociaux et des applis.
L'ouvrage, qui vient de paraître, souligne qu'aujourd'hui neuf adolescents sur dix, âgé de 12 à 17 ans, possède un portable, essentiellement un smartphone. L'appareil est donc ancré dans leur quotidien. Journaliste à L'Obs et spécialiste des nouvelles technologies, Boris Manenti revient pour Direct Matin, sur cet univers ultra-connecté qui divise, souvent, les générations.
Près de la moitié des parents avouent ne pas savoir ce qu'il y a dans le portable de leurs enfants, ni les usages qu'ils en font. Comment expliquer cela ?
Beaucoup de parents avouent ne pas savoir quantifier, ni qualifier les usages. Dès lors, on pense forcément au fossé technologique qui s’est imposé assez rapidement entre les générations depuis le boom des portables.
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Dans notre enquête, nous développons un volet sur la surveillance et les «mouchards» notamment, et on a constaté que beaucoup de parents le font. Ils vont d’ailleurs régulièrement fouiller sur les smartphones et les réseaux sociaux de leurs enfants, ces derniers ne sont d’ailleurs pas dupe. Le premier pas est souvent franchi quand les parents demandent leurs enfants en «amis» sur Facebook. C’est assez fréquent. Tout dépend aussi de l’âge des parents. Les plus vieux sont souvent perdus, les plus jeunes sont déjà beaucoup plus dans la démarche de surveiller ou d’utiliser des logiciels de contrôle parental, qui se développent.
Le portable est également un moyen d'intégration au collège et au lycée. Y a-t-il une forme de hiérarchie entre les ados en fonction du modèle de portable possédé, comme on pouvait le constater à une époque pour les codes vestimentaires ?
Certaines études montrent qu’avoir un iPhone récent est perçu comme un moyen de se distinguer et d’être plus cool. Cela ne fait pas tout, bien sûr, mais nous nous sommes aperçu que tout dépendait des milieux. Pour avoir enquêté dans certains collèges de Mantes-la-Jolie (Yvelines), le facteur est un peu moins prégnant, que dans un lycée huppé du 17e à Paris.
Il y a aussi certains ados, un peu plus geeks, qui vont préférer les modèles sous Android, comme les Samsung, Sony ou Huawei, parce qu’ils peuvent davantage les personnaliser. Au fond, il y a toujours cette volonté d’être populaire et de se faire accepter par ses pairs. Ce qui participe à la construction de sa personnalité.
Les deux auteurs de l'enquête, Boris Manenti et Céline Cabourg. © Cyril Bonnet / L'Obs
Etrangement, très peu utilisent leur mobile pour appeler. Sont-ils réfractaires aux discussions vocales ?
Ils répondent en effet très peu aux appels (seulement 20%, selon une étude américaine) et écoutent rarement les messages vocaux. Cette génération très connectée passe donc surtout par l’écrit pour communiquer. Même si ce n’est pas toujours le cas. On peut constater que le forfait Free à 2 euros et ses SMS illimités a changé la donne. Il y a même une revanche de l’écrit, car les ados ne font pas tant de fautes d’orthographe que cela. Bien sûr, il y a des correcteurs automatiques, ça aide, mais il y a un réel intérêt pour l’écrit et le langage texto à base d’abréviations s’amenuise.
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Les photos et selfies sont aussi partagés pour susciter des conversations, on ajoute même des textes aux images, donc là encore l’écrit est présent. Ce qui dépasse le simple visuel narcissique.
Qui y passe le plus de temps, garçons ou filles ?
Il n’y a pas vraiment de différence. Les études ne le montrent pas. Sans tomber dans les clichés, on peut relever que les garçons y jouent un peu plus aux jeux vidéo, sont un peu plus sur YouTube et que les filles sont peut-être plus enclines à utiliser les réseaux sociaux. Ce qui est fascinant, c’est qu’ils possèdent tous un smartphone, quel que soit leur sexe, leur condition sociale ou la ville où ils habitent. Il y a certes quelques réfractaires et des parents qui n’en veulent pas pour leurs enfants mais c’est très rare.
Aujourd'hui, qu'elles sont les nouvelles applis et nouveaux réseaux à surveiller ?
Il faut garder à l’esprit que n’importe quel réseau peut dériver. Pour Facebook ou Instagram, on constate qu’il y a une communication importante autour des limites et la vie privée. Les ados l’ont complètement intégrée, il y a même des cours à ce sujet au collège et au lycée.
De son côté, Snapchat a une dimension particulière, car on y est ami qu’avec des gens qui s’ajoutent réciproquement. On ne peut pas y faire de communication groupée, donc il y a un rapport très intime avec des personnes choisies. Cela tourne beaucoup autour du visuel, puisque c’est l’une des rares applis qui s’ouvrent directement sur l’appareil photo. Les adolescents en couple ou qui se draguent, par exemple, s’y dévoilent un peu plus. Ce qui laisse place, dans certains cas, à des dérives avec des captures d’écrans suggestives, qui peuvent être utilisées pour faire chanter quelqu’un ou les faire circuler dans le collège.
Il y a également, un nouveau réseau qui monte, notamment aux Etats-Unis : Kik. Il s’agit d’un réseau social tourné vers la rencontre et la drague. Mais en France, encore peu d’ados le connaissent. Celui qui s’implante aussi chez beaucoup de jeunes, surtout chez les filles, c’est Musical.ly, qui invite à montrer ses chorégraphies sur des chansons à la mode.
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Quels sont les principaux conseils à donner aux parents ?
Le conseil principal, qui peu sembler anodin, c’est de parler avec son ado. Il faut discuter de ses pratiques, les mettre en garde… Ce qui a été frappant tout au long de cette enquête, c’est que les adolescents adorent en parler et montrer ce qu’ils font sur les réseaux sociaux. Je relève d’ailleurs la bonne idée d’un père, que nous avons interrogé, qui instaure une soirée pizzas chaque jeudi avec ses enfants, pour parler librement et sans jugement de ce que la famille a pu voir sur les réseaux sociaux chaque semaine et ce que chacun en a retenu.
Autre conseil clé, c’est d’instaurer des moments de coupure (pas de téléphone à table…). Les ados n’y sont pas réfractaires. C’est aussi très important au moment du soir, avant le coucher. Le sommeil est assez perturbé par le téléphone, car l’écran avec la lumière bleue stimule et tient en éveil.
«Portables : la face cachée des ados», de Céline Cabourg et Boris Manenti, éd. Flammarion, 240 pages, 19 euros.