Tout juste nommé Premier ministre, François Bayrou va devoir affronter rapidement l'Assemblée nationale sur des dossiers brûlants hérités de Michel Barnier. Outre la création d'un gouvernement de coalition, le nouveau locataire de Matignon aura un programme chargé.
François Bayrou devra rechercher un accord pour survivre plus longtemps que l'éphémère Michel Barnier et faire adopter un budget, dans un paysage politique fracturé. L'ancien ministre et actuel président du MoDem a été nommé à Matignon et son agenda s'annonce bien rempli dans les prochains jours pour espérer fédérer et éviter toute censure.
Former un gouvernement
La première mission du Premier ministre sera de former un gouvernement. Si la volonté d’Emmanuel Macron est d’ouvrir le casting à l’arc allant de la droite républicaine (LR) jusqu’au Parti socialiste, voire aux écologistes, excluant de fait le RN et LFI, la gauche pourrait néanmoins refuser de participer à un gouvernement qui ne serait pas dirigé par un Premier ministre du NFP. Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a d’ailleurs confirmé ce jeudi l’exclusion immédiate du parti de tout élu qui intégrerait un gouvernement dirigé par une personnalité de droite ou du centre.
Si le chef de l’État cherchait à s’assurer que le futur exécutif bénéficiera d'un «pacte de non censure» de la part notamment du Parti socialiste et des écologistes, l’espoir semble donc être vain. Une équation d’autant plus complexe pour le Premier ministre, qui pourrait ne pouvoir compter que sur des personnalités de la droite et de la macronie pour composer son gouvernement. Un gouvernement qui devrait donc ressembler peu ou proue à celui de Michel Barnier, lui qui avait tenu à peine trois mois au pouvoir avant d’être censuré.
Une loi spéciale amendée ?
Mais ce n’est pas tout. François Bayrou aura pour tâche prioritaire de reprendre les débats sur les mesures budgétaires, laissées en suspens après la censure. La loi spéciale, présentée en Conseil des ministres, n'est en effet composée que de trois articles pour principalement autoriser le gouvernement à lever les impôts et dépenser les crédits sur la base du budget 2024. Si son adoption ne fait guère de doute après son examen lundi à l'Assemblée nationale, puis le 18 décembre au Sénat, certaines questions divisent encore la classe politique.
Car en filigrane se joue un débat sur l'indexation de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, qui figure normalement dans le budget de l'Etat. En l'absence de nouveau budget, «380.000 nouveaux foyers» pourraient se retrouver imposables en 2025, tandis que près de 18 millions de Français verraient leurs impôts augmenter. Selon les oppositions, accusées d’être responsable de la situation en raison du vote de la censure, il est possible d’amender cette loi spéciale pour indexer le barème de l’impôt sur le revenu en reconduisant le même nombre de contribuables qu’en 2024.
Pour le gouvernement sortant, la manoeuvre serait inconstitutionnelle car elle ferait sortir le texte de son cadre strictement fixé par la loi. Il s'appuie aussi sur un avis du Conseil d'Etat qui estime que l'indexation n'a pas sa place dans cette loi, qui doit uniquement reconduire les impôts existants. Par ailleurs, derrière la querelle constitutionnelle se joue un bras de fer politique : si les parlementaires adoptent l'amendement, aucun parti ne pourrait être tenté par le risque de saisir le Conseil constitutionnel sur une mesure par essence très populaire.
Un budget début 2025
Après l’adoption de la loi spéciale, viendra l’heure pour le nouveau gouvernement Bayrou de proposer une nouvelle loi de finances pour 2025. À la fois pour la Sécurité sociale, mais aussi pour l’État. Deux solutions vont s’offrir au Premier ministre : reprendre un budget sur la base de celui de Michel Barnier, en espérant construire une majorité plus large pour éviter la censure, ou bien proposer de nouveaux compromis pour satisfaire l’opposition, au risque de se diriger vers un budget «vidé» des objectifs prioritaires avancés par le camp présidentiel, à savoir : réduire le déficit public, qui pourrait dépasser les 6% du PIB en 2024.
L’option du 49.3 demeure sur la table, même si de nombreux députés ont d’ores et déjà prévenu que les mêmes causes entraîneront les mêmes conséquences : la censure. Pourtant, cette disposition pourrait s’avérer indispensable pour le Premier ministre, au regard d’une Assemblée morcelée et sans majorité, où il faudrait qu'au moins six groupes valident le projet - ou a minima s'abstiennent - pour faire passer un budget d'un commun accord. Or, il faut donner des gages à tout le monde, ce qui réduit en outre la possibilité de faire des économies pour combler le déficit.
Le contenu du budget devrait enfin avoir une importance capitale. S’il penche à gauche, la droite ne le votera pas, s'il penche à droite la gauche ne le votera pas et les députés auront du mal à endosser leur vote, qui marque leur positionnement dans l'opposition ou la majorité. En somme : la crise politique pourrait bien se prolonger en 2025 et le nouveau Premier ministre n’est pas assuré d’être le même qu’au printemps, en attendant le mois de juillet, où seule une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale pourrait débloquer la situation, et rebattre les cartes.