Des mains rouges ont été taguées sur le «Mur des Justes» à l'extérieur du Mémorial de la Shoah et sur plusieurs bâtiments du quartier historique juif de Paris, incitant les autorités à saisir la justice ce mardi 14 mai. Mais quelle est la signification de ce symbole, déjà mis en avant lors des récentes mobilisations pro-palestiniennes ?
Un message polysémique. Comment qualifier les mains rouges qui ont été peintes ce mardi sur le Mémorial de la Shoah ? C'est la question qui se pose, en raison de l'utilisation de ce symbole aux origines floues, maintes fois utilisé pour différentes causes, souvent pour réclamer le paix et l'arrêt d'un massacre, et parfois pour véhiculer des idées antisémites et inciter à «tuer des juifs».
Une référence au massacre de Ramallah
Brandies lors des blocus de Sciences Po Paris par des étudiants pro-palestiniens, des mains peintes en rouge avaient été exhibées pour réclamer un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, selon leurs propos. Mais plusieurs voix s'étaient élevées pour dénoncer une allusion au lynchage de deux soldats israéliens à Ramallah en 2000. Cette même intention antisémite a également été dénoncée par de nombreux observateurs pour qualifier les dégradations sur le Mur des Justes, qui jouxte le Mémorial de la Shoah.
Et pour cause, ce symbole rappelle en effet un triste événement aux relents antisémites. Le 12 octobre 2000, deux soldats israéliens sont entrés par erreur dans la ville de Ramallah, sous autorité palestinienne. Ils ont été lynchés et mis à mort. Un homme a ensuite brandi ses mains ensanglantées à la fenêtre d'un commissariat en signe de «victoire». Il est devenu l’un des symboles de la seconde Intifada.
Un symbole polysémique
Pour se défendre, les militants ont avancé un certain nombre d’arguments. Nés pour beaucoup dans les années 2000, ils ont notamment revendiqué ne pas avoir en mémoire le massacre de Ramallah. Mais surtout, le symbole de la main rouge a été utilisé dans bien d’autres contextes de lutte politique. Si son origine précise reste floue, il a notamment été utilisé par les Amérindiens pour défendre leurs droits en Amérique du sud, ou encore par des militants pour dénoncer les exactions de Pinochet lors de son procès en 1999, chaque fois avant le massacre de Ramallah.
Il a également été brandi pour dénoncer les agissements de la Russie en Ukraine, le racisme systémique dans la police lors du mouvement Black Lives Matter, le sort des populations autochtones au Brésil, l’inaction climatique des gouvernements, la maltraitance animale, et bien d’autres causes encore. Il a même été utilisé par des familles d’otages israéliens pour réclamer leur libération et dénoncer la manière qu’a eu le gouvernement de Benjamin Netanyahou de gérer la situation. Il a aussi été utilisé par des Israéliens pour dénoncer le bombardement de Gaza.
En outre, depuis 2002, l’ONU a lancé la Journée internationale de la main rouge pour alerter sur le sort des enfants soldats. Il s'agit donc d'un symbole extrêmement polysémique.
Un contexte à prendre en compte
Mais pour chaque utilisation de ce symbole, le contexte joue un rôle décisif dans la compréhension du message qu'il véhicule. Dans le contexte des manifestations pro-palestiniennes devant les universités parisiennes, ou celui de dégradations du Mémorial de la Shoah, le lien avec le conflit au Proche-Orient est affiché. Reste à savoir s'il véhicule un message de paix et un appel au cessez-le-feu ou bien un message antisémite. Il est en ce sens difficile de savoir si les auteurs des faits, dans un cas comme dans l'autre, n'avaient réellement pas connaissance de la symbolique de Ramallah.
Il est d'ailleurs probable que ce symbole n'ait pas été abordé par tous ses auteurs de la même manière. On peut penser qu'une partie des militants, de bonne foi ou par ignorance, ont simplement voulu véhiculer un message de paix, ou dénoncer «le sang sur les mains des dirigeants israéliens», tandis que certains l'ont utilisé pour revendiquer des positions antisémites. On peut toutefois imaginer, qu'en raison de la symbolique extrêmement forte du Mémorial de la Shoah, la deuxième option soit envisagée dans ce cas précis.
Une enquête ouverte
C'est en ce sens que de nombreuses personnalités ou responsables politiques, à l'image du président de la République, Emmanuel Macron, ont condamné «des actes antisémites odieux» et «inqualifiables», et qu'une enquête a été ouverte par le parquet de Paris «au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale» pour des dégradations «potentiellement constitutives du délit d'injure publique à caractère antisémite».
Il convient également de rappeler que si ces symboles ont récemment été utilisés lors de plusieurs manifestations, notamment devant des universités parisiennes, pour dénoncer la situation à Gaza et le conflit au Proche-Orient, aucun élément factuel ne permet, à ce stade, de relier ces dégradations aux manifestants pro-palestiniens. Des étoiles de David avaient par exemple été taguées sur des murs à Paris et en banlieue en novembre 2023, sur commande des services de renseignement russes.