Publié ce lundi 22 janvier, le rapport annuel du Haut conseil à l'égalité sur le sexisme en France révèle une résistance encore forte aux enjeux d'égalité femmes-hommes. L'instance dénonce «une véritable "éducation" au sexisme».
Il faut combattre le sexisme «là où il nait», intime le Haut conseil à l'égalité (HCE) dans son rapport annuel publié ce lundi 22 janvier. Selon l'instance, les clichés sexistes sont véhiculés dès le plus jeune âge, dans l'éducation des enfants, ce qui explique leur ancrage profond et la résistance observée aujourd'hui encore face aux enjeux d'égalité femmes-hommes. D'après l'enquête, 37 % des hommes considèrent que le féminisme «menace leur place».
Un chiffre non seulement inquiétant mais en hausse de trois points par rapport à l'année dernière. Une forme de «passivité voire d'hostilité» à l'émancipation des femmes est soulignée, «tout particulièrement chez les hommes». Cette résistance touche toutes les générations selon le Haut conseil à l'égalité, avec tout de même une tendance marquée chez les 25-34 ans.
Les idées masculinistes prennent de l'ampleur chez ces jeunes hommes, qui sont plus prompts à considérer que l'on s'acharne sur les hommes (52%) et qu'il n'est plus possible de séduire une femme sans être vu comme sexiste (59%). Les plus âgés, eux, ont plutôt tendance à défendre une division très binaire et genrée des rôles sociaux. 51% des 65 ans et plus estiment par exemple que «les femmes doivent s'arrêter de travailler pour s'occuper de leurs enfants».
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Lire le rapport : https://t.co/e8JQyGElf2
cc @Inafr_officiel @BETCParis pic.twitter.com/6MIQm8P5Ge— Haut Conseil à l'Egalité (@HCEfh) January 22, 2024
Cette tendance entraîne un mouvement similaire chez les femmes, notamment les plus jeunes, puisque 54% des 25-34 ans pensent qu'on attend d'elles qu'elles aient des enfants et 58% qu'une femme doit faire passer sa famille avant sa carrière professionnelle.
Le Haut conseil à l'égalité juge le phénomène global «particulièrement inquiétant» et note qu'il s'exprime de manière très concrète sur les réseaux sociaux, avec le succès des tendances #tradwife et #stayathomegirlfriend. Sous ces hashtags, pouvant se traduire par «épouse traditionnelle», des jeunes femmes valorisent un mode de vie dans lequel la femme, sans emploi, est réassignée à la sphère strictement domestique et entièrement dévouée aux désirs et à la carrière de son mari ou petit ami.
Cette adhésion aux rôles sociaux genrés renforce les stéréotypes. 70% des hommes pensent ainsi qu'ils doivent prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés (63% des femmes sont d'accord) tandis que 31% d'entre eux estiment qu'ils doivent savoir se battre.
En parallèle, 78% des femmes jugent qu'elle doivent être sérieuse pour correspondre à ce que la société attend d'elles, ce que les hommes approuvent à 70%. Elles pensent aussi devoir être discrète (60%), avoir des enfants (52%) et avoir peu de partenaires sexuels (48%). Sur ce dernier point, 37% des hommes acquiescent.
Ce sexisme diffus renforce les clichés tels que «il est plus difficile pour les hommes de pleurer», validé par 42% des concernés (+3 points) ou encore «la contraception est une affaire de femmes», soutenu à 26%, soit 4 points de plus que l'année dernière. L'idée que «les femmes sont naturellement plus douces» progresse par ailleurs de 3 points chez les femmes (53%).
Le Haut conseil à l'égalité rappelle que ces comportements et croyances sont «nocifs» pour tout le monde : les femmes mais aussi les hommes, qui se retrouvent également soumis à une pression sociale pour se conformer aux normes de masculinité traditionnelles.
Si le sexisme persiste autant c'est «parce qu'il est communiqué et assimilé dès l'enfance, dans le foyer et à l'école, puis véhiculé dans l'ensemble de la société notamment au sein des sphères médiatique et numérique», écrit l'instance. Il existe «une véritable "éducation" au sexisme» qui est «une construction sociale».
Un sexisme «inoculé» aux enfants
Le rapport pointe un «traitement différencié» des enfants selon leur genre, dont les parents n'ont souvent pas conscience. En effet, ces derniers ont à 41% le sentiment d'avoir éduqué leurs enfants, fille et garçon, de façon identifique à tous les niveaux. Pourtant, en parallèle, les Français ayant grandi avec un enfant du genre opposé ne sont que 21% à estimer qu'ils ou elles ont été éduqué(e)s de la même manière. Soit une différence de 20 points.
«La féminité et la masculinité sont des rôles attribués très tôt au sein de la même famille et sont souvent perçues comme des différences "naturelles"», selon le rapport. Cela entraîne «une spécialisation des rôles de chacun : chez les garçons, on valorise la force, la compétition, le mépris de la faiblesse, voire du féminin. Chez les filles on valorise l'écoute, l'empathie, la douceur et la docilité.»
Ce sexisme «inoculé» s'exprime par la suite à l'école et a notamment des conséquences sur l'orientation professionnelle puisque certaines filières ou métiers continuent d'être perçus comme plus appropriés pour un genre plutôt que pour l'autre. Par exemple, 74% des femmes disent n'avoir jamais envisagé les études supérieures ou métiers dans le domaine technique ou scientifique. A l'inverse, 67% des hommes n'ont pas songé à s'orienter dans le domaine du soin.
Une «action publique forte» demandée
Le rapport identifie le numérique comme le troisième «incubateur» de sexisme. Plus de la moitié de la population considère en effet que femmes et hommes ne sont pas traités de la même manière sur les réseaux sociaux. D'après les chiffres du HCE, 68% des contenus d'Instagram diffusent des stéréotypes de genre.
Les femmes y sont sous-représentées dans les milieux professionnels et les lieux publics, mais surreprésentées dans les milieux privés, liés à l'intime. «Elles sont souvent présentées dans un rôle maternel, enceintes, jeunes mamans [...] au coeur d'une structure familiale très hétéronormée qui renforce les rôles genrés» traditionnels.
La pornographie est également pointée du doigt puisque selon Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, «les vidéos pornographiques diffusent des contenus misogynes d’une rare violence que deux tiers des hommes de 25-34 ans disent imiter dans leurs relations sexuelles».
Pour lutter efficacement contre le sexisme, le HCE réclame une «action publique forte, continue et globale», menée dans l'éducation, l'espace numérique et l'exercice de la justice. Il recommande d'«éduquer à l'égalité à travers un programme de sensibilisation et d’orientation effectif, continu et adapté», de réguler la présence et l’image des femmes dans le secteur numérique» mais aussi de «sanctionner en faisant du délit de sexisme un véritable outil juridique de condamnation du sexisme».
L'instance insiste sur la nécessité d'agir vite, sachant que la «persistance du sexisme est à l’origine de violences plus graves envers les femmes, dont le nombre ne diminue pas, voire augmente dans certaines sphères». Comme l'année dernière, 37% des femmes déclarent avoir vécu au moins une situation de non-consentement et la proportion grimpe à presque une femme sur deux chez les 25-49 ans. Entre 2017 et 2022, le nombre de violences sexuelles enregistrées a par ailleurs doublé.