Alors que de nombreux pêcheurs français sont privés d'accès aux eaux britanniques après le Brexit, quelque 90 navires pourraient partir à la casse. Si les armateurs vont être indemnisés, de nombreux responsables du secteur estiment que la pêche française est menacée.
La fin d'un long et pénible feuilleton pour les pêcheurs français. Quelque 90 navires privés d'accès aux eaux britanniques en raison du Brexit pourraient partir à la casse et leurs armateurs être enfin indemnisés.
Après une bataille diplomatico-commerciale de plus d'un an entre Paris et Londres, arbitrée par Bruxelles, la France a finalement obtenu 1.054 licences de pêche du Royaume-Uni et des îles anglo-normandes, permettant aux titulaires de continuer à pêcher dans leurs eaux, comme avant le Brexit.
Pour les dizaines de pêcheurs restés sur le carreau ou dont l'activité a été fortement réduite, le gouvernement a prévu un «plan d'accompagnement individuel» (PAI), ou plan de sortie de flotte, pour les bateaux qui seront détruits.
enveloppe de 65 millions d'euros
Les conditions d'accès à une indemnisation - par exemple la justification d'une dépendance d'au moins 20% de la valeur totale des ventes de ses captures réalisées dans les eaux britanniques en 2019 ou 2020 - ont été fixées par le gouvernement en octobre.
L'enveloppe globale est de 65 millions d'euros, financée par la Commission européenne. Le montant de l'aide est calculé pour chaque navire en fonction de sa puissance.
Une nouvelle étape a été franchie en février : «sur les 164 demandes déposées, 90 sont éligibles au plan d'aide, 33 sont en liste d'attente et les autres ont été rejetées», a indiqué à l'AFP Olivier Le Nezet, président du comité national des pêches.
Les demandeurs éligibles, qui ont été notifiés ces derniers jours, doivent maintenant confirmer leur choix auprès des préfectures régionales. Si certains armateurs se désistent, l'enveloppe d'aide libérée ira à un navire en liste d'attente.
la filière pêche en danger ?
Dans le Finistère, zone qui perd le plus grand nombre de navires, les «craintes d'une déstabilisation de la filière aval» - les criées, les mareyeurs - sont fortes. Dans les Hauts-de-France, c'est au contraire le peu de demandes d'aides validées qui suscite les critiques. A Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français, sur 18 dossiers déposés, seulement 7 ont été validés, selon le comité régional.
Plus généralement, le comité national souligne l'impact potentiellement dévastateur des différents PAI post-Brexit engagés en Europe, en Irlande, aux Pays-Bas ou en Ecosse sur l'écosystème français : «En Irlande, ce sont 57 navires qui vont sortir, c'est plusieurs milliers de tonnes de poissons qui n'arriveront plus en France», où ils étaient transformés et commercialisés.
forte concurrence dans la manche
Plus grave encore pour la flotte nationale, Olivier Le Nezet souligne le risque d'une «perte des capacités de pêche». Il appelle tous les navires sortants à «déposer leurs droits d'accès», c'est-à-dire les licences de pêche (en France ou dans d'autres eaux) rattachées à ces armements, «avant de signer le document de sortie de flotte».
«S'ils le font après, ce sera trop tard : on ne perdra pas les quotas de pêche mais sans droit d'accès, on perdra le droit d'aller pêcher ces quotas», explique-t-il, plaidant pour maintenir une forte capacité de pêche avant l'été 2026, quand les navires européens devront renoncer à 25% de leurs captures dans les eaux britanniques dans un contexte de concurrence accrue dans la Manche.
Enfin, un arbitrage de Bruxelles attise la fureur du secteur : l'interdiction faite aux bénéficiaires du PAI d'armer un nouveau navire ou d'augmenter sa capacité de pêche «pendant les cinq années suivant le paiement de l'aide».