Ce jeudi 17 novembre, les syndicats de l'enseignement professionnel appellent à une journée de grève nationale pour protester contre le projet de réforme du lycée professionnel porté par le gouvernement.
Une réforme du lycée professionnel ? Pourquoi pas mais pas comme ça. C’est en substance la réponse des syndicats et personnels en réaction au projet de refonte de l’enseignement professionnel porté par le gouvernement. Après une large mobilisation contre cette réforme le 18 octobre dernier, l’intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de grève nationale ce jeudi 17 novembre. Le retrait pur et simple du projet est exigé.
L'«unité syndicale» affichée pour cette mobilisation est qualifiée d'«inédite» par les principales organisations représentatives du secteur. Dans un communiqué commun, elles expliquent s'opposer en premier lieu au fait d'engager une nouvelle réforme sans avoir fait le bilan concerté de la précédente : la Transformation de la voie professionnelle (TVP) de Jean-Michel Blanquer, amorcée en 2018.
L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de #grève dans les lycées professionnels le #17novembre
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Aussi, les principaux syndicats, le Snetaa-FO, la CGT et le Snuep-FSU, qui représentent près de 70% des personnels enseignants, ont tous refusé de participer aux groupes de travail mis en place le 21 octobre dernier dans le cadre de ce nouveau projet de réforme.
Ils dénoncent un «simulacre de discussion», soulignant le fait que le document servant de base aux concertations, intitulé «Ensemble, construisons le lycée professionnel de demain», reprend tous «les éléments socles» de la réforme, présentés comme «non négociables». Ce, alors qu'ils sont décriés depuis des mois par leurs organisations.
Parmi ces points de crispation figure notamment la volonté d'augmenter le temps de stage des élèves. En août, lors d'un discours à la Sorbonne, puis en septembre dans un lycée professionnel des Sables-d'Olonne, Emmanuel Macron a évoqué une hausse «d'au moins 50%» des Périodes de formation en milieu professionnel (PFMP).
Actuellement les élèves de CAP bénéficient de 12 à 16 semaines de stage, contre 22 pour les Bac pro. «Augmenter le temps de stage en entreprise, c’est diminuer d’autant le temps de présence des jeunes à l’école», ont alerté les syndicats de la FSU dans un communiqué datant du 9 novembre. Ce qui, selon eux, «signe clairement un abandon de l’ambition scolaire pour les 650.000 élèves» français scolarisés en lycée professionnel.
La crainte de suppressions de postes
«On sait que nos élèves n'ont pas besoin de plus de stage, confirme Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO. Ils maîtrisent les techniques des métiers, en revanche ils ont de vraies difficultés de lecture, d'écriture, à compter, à se situer spatialement. Il leur manque la culture générale, des capacités scolaires».
Les syndicats craignent également que cette réduction du temps de classe ne mène à des suppressions de postes de professeurs. Les estimations du Snetaa-FO font état de «8.000 à 10.000» emplois sacrifiés sur une mandature de 5 ans.
Au-delà de ça, «les entreprises ne pourront pas absorber tous ces jeunes», enchérit Françoise Vaisse, professeure dans un lycée professionnel de Béziers (Hérault) et adhérente au Snetaa-FO. «En tant que directrice déléguée aux formations, je dois établir chaque année un calendrier des PFMP et c'est déjà tendu à l'heure actuelle. Les entreprises ne peuvent pas avoir des stagiaires en permanence, le tutorat est une sacrée responsabilité».
La feuille de route établie par le ministère prévoit en outre que les lycées professionnels adaptent «leur projet d'établissement aux réalités locales». Concrètement cela revient à ajuster la carte des formations au cas par cas, selon les besoins des entreprises du territoire. Dans une «lettre ouverte aux personnels de la voie professionnelle», publiée le 7 novembre, le SNUEP-FSU a dénoncé une mesure qui «remet en cause l'accès à une formation nationale» et «éclate un des piliers de l'école républicaine : l'égalité entre les élèves».
«On ne doit pas former que ce qui est utile, plaide aussi François Vaisse. On doit permettre à tous les jeunes d'avoir une formation. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas tel emploi sur un territoire qu'on doit pénaliser ceux qui ont la volonté de faire ce métier. Libre à eux d'aller travailler dans une autre région ensuite. Surtout que la majorité de nos élèves ne sont pas des fils de médecins ou de cadres sup, leur famille n'ont pas les moyens de les envoyer étudier ailleurs. Ils doivent pouvoir être formés près de chez eux».
La ministre @CGrandjean_ installait ce matin 4 groupes de travail sur la réforme des lycées professionnels.
Explications— Ministère Éducation nationale et Jeunesse (@education_gouv) October 21, 2022
Le ministère de l'Enseignement et de la Formation professionnels affiche le taux d'insertion des bacheliers comme la boussole de ce projet de réforme. Le 8 novembre, à l'Assemblée nationale, la ministre déléguée a estimé qu'en la matière «la voie professionnelle ne tient pas sa promesse républicaine». Selon Carole Grandjean «deux tiers des décrocheurs viennent du lycée professionnel».
«Vu les élèves qu'on nous envoie, ça ne peut pas être autrement, s'agace Pascal Vivier. Il y aura toujours le maximum de décrochage en lycée pro parce que le lycée pro est le lycée de la relégation, où on envoie les gamins qui sont en grande difficulté scolaire et sociale. C’est comme si on s'étonnait de voir un taux de mortalité plus élevé dans les urgences d'un hôpital que dans le service dentaire.»
D'après Dylan Ayissi, fondateur du collectif «Une voie pour tous», cette image dégradée et ce manque d'attrait de l'enseignement professionnel favorise les inégalités. En 2014, un rapport de Science Po a en effet établi que «les élèves d'origine modeste» avaient «une probabilité 93% plus élevée d'être orientés en seconde professionnelle et 169% plus élevée d'être orientés en CAP».
Lui-même a été élève en lycée professionnel et se souvient de ce sentiment d'être «un déchet du système éducatif». «Quand on n'est pas bon au collège on est orienté en lycée professionnel, résume-t-il. C'est présenté comme une punition, on se voit retirer toute capacité de choisir son orientation et ça engendre de vraies problématiques d'estime de soi».
Le collectif Une voie pour tous milite ainsi pour une réforme du lycée professionnel, mais pas celle présentée par le gouvernement. S'il juge «importante» la question de «l'insertion et du chômage», Dylan Ayissi défend «la revalorisation des diplômes et des filières professionnels» en priorité.
Des élèves à repérer «le plus tôt possible»
Tel quel, le projet du ministère équivaut à une «casse» du lycée professionnel, pour les syndicats. Selon Pascal Vivier, les menaces de fermeture d'établissements dans le Grand Est et à Paris en sont une preuve. Ces suppressions limitent «l'accès à l'enseignement professionnel» et «poussent les jeunes vers les entreprises».
«Sauf que ça ne marche pas, poursuit-il. Parce que les entreprises ne veulent pas les jeunes dans l'état où nous les prenons en fin de 3e. Nous ne sommes pas la cause du décrochage, nous en sommes une conséquence».
En réalité, pour le secrétaire général du Snetaa-FO, les difficultés du lycée professionnel sont le symptôme des failles du système éducatif lui-même. «Il n'est pas normal qu'en fin de 3e des jeunes ne maîtrisent pas la lecture, l‘écriture, l’argumentation, l’histoire, la géographie, les langues. Il faut les repérer le plus tôt possible, dès le collège, pour leur apporter une pédagogie adaptée et faire en sorte que l'orientation à la fin de la 3e soit décidée, choisie et non par défaut».
C'est parce qu'il estime que le projet du gouvernement ne va pas dans ce sens que le Snetaa-Fo a refusé de participer aux concertations. Pascal Vivier précise que «c'est la première fois» que ça arrive, «depuis 1948». «Nous n'avons jamais fait la politique de la chaise vide auparavant, insiste-t-il. Si on a décidé de ne pas y aller cette fois c'est parce que c'était du bavardage».
Avec ou sans les syndicats majoritaires, les groupes de travail vont toutefois se maintenir jusqu'aux vacances de Noël. Le ministère a indiqué que des conclusions seraient rendues fin février, avant une deuxième phase de construction de la réforme ensuite.
Il devra composer avec une opposition qui ne semble pas s'essouffler puisque non seulement l'intersyndicale appelle à la mobilisation et à la grève nationale ce 17 novembre, mais le Snetaa-FO a aussi prévu de manifester le samedi 19 novembre, à Paris. Cette seconde journée a été pensée pour permettre aux personnels de faire entendre leur voix sans renoncer à une journée de travail et fragiliser leur pouvoir d'achat.