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Christophe Bouchet, aux candidats à la présidentielle : «les élus locaux sont perdus»

L’ancien maire de Tours demande aux candidats à la présidentielle de simplifier le fonctionnement des politiques locales. [GUILLAUME SOUVANT / AFP]

Maire de Tours de 2017 à 2020 et habitué des politiques locales, Christophe Bouchet s’adresse dans un livre aux candidats à l’élection présidentielle, pour leur demander d’agir et de simplifier le fonctionnement des collectivités territoriales, qui vire au casse-tête pour les élus.

Quelle serait l’urgence numéro un, la première demande à faire au futur président de la République, concernant les communes françaises ?

Je lui proposerai de remettre à plat toute l'organisation de l'Etat avec les collectivités territoriales. Le climat qui s'est installé entre la haute-administration et les élus est frappé du sceau de la défiance. Ça souffre dans tous les coins, parce qu'il y a une recentralisation très forte depuis deux mandats. Le système manque de dynamisme, les élus locaux sont perdus parce qu'ils n'ont même plus d'interlocuteurs, les agents, les fonctionnaires ne sont plus à disposition pour leur répondre. A chaque fois, lorsqu'on pose une question, la réponse c'est : «je vais demander». Et très souvent, au final, il n'y aura même pas de réponse.

Vous dénoncez dans votre livre le millefeuille de l’administration, une critique qui remonte sans cesse dans tous les domaines. Est-ce le gros point noir du fonctionnement de la France ?

Il faut simplifier les procédures. Plus vous avez de couches, plus les gens qui sont dans ces couches pensent qu'ils ont une importance. Et c'est normal ! Un élu du département pense que le département est important. C'est normal. Si l'on prend l'exemple du tourisme, c'est une compétence partagée entre l'intercommunalité, le département, la région et l'Etat. Du coup, les gens n'arrivent jamais à regrouper leurs forces. Le millefeuille il est là.

A quoi ça sert d'avoir des communes de 100 et 150 habitants ?

Vous demandez à faire changer le profil des maires, en rendant attractif ce statut.

L'élu moyen en France est un homme de 63 ans à la retraite. Est-ce que la France est un homme de 63 ans à la retraite ? Il y a tout un pan de la société qui ne s'investira jamais en politique. Ceux qui sont dans le privé, les employés, les cadres, les dirigeants, ils ne voient pas l'intérêt. Il faut un véritable statut de l'élu, avec une rémunération juste. Quand vous dirigez une ville, ne serait-ce que de 10.000 habitants dans laquelle il y a 300 agents et plusieurs dizaines d'élus, c'est un vrai travail de manager, de gestion d'une grosse PME, où le responsable serait payé entre 5.000 et 10.000 euros net. Et pas 2.500 euros brut, comme le maire.

S'il est bien payé, on pourra obliger le maire élu à se former, en décalant sa prise de fonction de deux mois, par rapport à son élection. Dans l'intervalle, il devra suivre des formations sur les relations avec l'Etat, avec les collectivités territoriales, comprendre un budget ou les services de sa mairie.

Vous militez dans votre livre pour fusionner les petites communes, afin d’en réduire le nombre. En quoi serait-ce une bonne solution ?

Il faudrait pousser les communes à se regrouper. Que l'on passe de 36.000 à 10.000 communes. A quoi ça sert aujourd'hui d'avoir des communes entre 100 et 150 habitants ? Il n'y a plus d'écoles et la gestion des services, comme les déchets par exemple, se fait ailleurs. Aujourd'hui, la commune ne sait plus trop où elle habite car une grande partie de ses compétences est partie dans l'intercommunalité. Les maires des villages de moins de 1.000 habitants se disent : «mais qu'est-ce qu'on a à faire ?». Il faut qu'ils retrouvent du pouvoir. Il faut se regrouper, pour pouvoir faire des choses, y compris dans sa propre commune.

Ça a marché dans le Maine-et-Loire, en passant de 355 communes à 177, idem dans la Manche ou autour d'Annecy (fusion de quatre grandes communes). On ne parle pas de guillotine mais d'intelligence. Le nom de la commune doit être gardé, un maire délégué peut être maintenu un certain temps...

Les écologistes sont contradictoires

Vous vous prononcez aussi pour la légalisation du cannabis. Quel impact cela aurait pour la gestion des villes ?

Les trafics sont devenus un cancer pour la tranquillité. Ce qui fait l'insécurité des villes, c'est le trafic de cannabis. En le légalisant, on en supprimerait déjà une partie. Oui, le cannabis est une drogue dangereuse, mais on tolère à côté l'alcool et la cigarette. C'est un vrai débat à avoir, ce sujet pourri beaucoup de chose dans notre société. Pour condamner vraiment les trafiquants, il faudrait construire des centaines de milliers de place de prison. La société ne peut pas vivre comme ça.

Les communes se retrouvent souvent en difficulté face aux nouvelles règles écologiques.

Aujourd'hui, rien ne se fait, on est à l'arrêt. On nous parle régulièrement des travaux alarmants du GIEC, pour dire que le climat est une urgence absolue, mais au quotidien, quand vous tentez de faire quelque chose, les écologistes sont contradictoires. Vous voulez mettre une turbine hydroélectrique dans une rivière, on vous dit «non, il faut respecter le lit originel de la rivière», quand vous voulez faire une ferme de panneaux photovoltaïques, on vous dit que ce n'est pas possible car c'est une zone humide. Je comprends bien que ça puisse gêner une espèce d'oiseau, on est tous attaché à notre biodiversité, mais à un moment il faut savoir quelles sont les priorités. Elles sont toutes contradictoires, il n'y a pas de ligne directrice. Et les élus sont paumés.

Est-ce que le maire a perdu son pouvoir ?

Non, il n'a pas perdu son pouvoir. En revanche, il doit faire face à tellement d'obstacles, que sa capacité à agir est très diminuée. C'est très lourd. Il faut qu'il soit dans le cadre de son intercommunalité, qu'il obtienne des cofinancements, que les normes n'empêchent rien... Il faut une énergie totalement délirante, pour arriver à des sujets ordinaires. Ce n'est pas normal.

Le citoyen est devenu d'une exigence folle

Pour résumer, n'est-ce pas devenu impossible d'être maire et de satisfaire ses administrés ?

On critique beaucoup les élus, mais le citoyen est devenu d'une exigence folle. On a une individualisation de la société qui s'amplifie de jour en jour. Le citoyen consomme le territoire comme il consomme au supermarché. Il s'installe dans un endroit carte postale, par exemple au bord du lac d'Annecy, ou avec vue sur la Loire, ou n'importe où ailleurs quand ça lui plaît, et il devient exigent envers son territoire et son élu. Il veut aller dans une association sympa, pour se divertir, mais sans prendre aucune responsabilité (secrétariat, présidence...). Il est là pour consommer.

Cela se voit avec le nouvel arrivant. Vu qu'il a fait l'effort de se déplacer pour s'installer à cet endroit, il considère que tout le monde doit se mettre au niveau de son effort.

Cette insatisfaction peut-elle se retrouver dans les urnes ?

Il y a un sentiment contre lequel il est difficile de lutter, c'est le déclassement. C'est très puissant, plus que les questions d'immigration ou d'insécurité. Le «grand déclassement», c'est ce sur quoi surfent les candidats populistes.

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«Lettre ouverte aux candidats d’un petit élu de province», de Christophe Bouchet, aux éditions Hugo Doc, 260p, 16,95€ (ebook 9,99€).

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