Dans son édito de ce mardi 26 octobre, Florian Tardif se penche sur la question du port du voile et la notion de laïcité, à travers une séquence de l'émission «Face à la Rue» de Jean-Marc Morandini.
Nous allons analyser ensemble cette séquence, avec rigueur. Je sais qu’actuellement ce n’est pas ce qui définit le mieux le débat politique mais raison de plus pour l’être ce matin. Hier, Eric Zemmour était l’invité de l’émission de Jean-Marc Morandini «Face à la rue». Cette émission spéciale avec le candidat putatif a été tournée en Seine-Saint-Denis, plus précisément à Drancy où il a grandi.
Durant leur déambulation, ils ont rencontré différentes personnes aux profils hétéroclites dont une femme de confession musulmane. Eric Zemmour a commencé à échanger avec elle. Cette dernière lui a demandé de «respectez la femme» qu’elle était, femme qui n’était pas définie par le foulard qu’elle portait. L’échange s’est poursuivi et l’écrivain lui a alors demandé d’enlever son voile, en direct. Celle-ci lui a rétorqué : «enlevez votre cravate, j’enlève le voile». Chiche, lui a-t-il répondu.
«Vous respectez la laïcité» à présent, lui a dit Eric Zemmour. «Vous respectez la laïcité» : je souhaitais ce matin m’arrêter sur cette phrase, en particulier. Parce que lorsque l’on regarde cette séquence et les propos tenus par Eric Zemmour on a le droit de s’interroger sur le sens de la laïcité. La laïcité est-ce de pouvoir porter ou non le voile dans l’espace public ? Ou est-ce, uniquement de le porter dans la sphère privée, comme semble le dire Eric Zemmour ?
Pour répondre à ces interrogations, il est bon de rappeler ce qu’est la laïcité. La laïcité est l’un des piliers de la République. La république «est indivisible, laïque, démocratique et sociale». C’est inscrit à l’article 1er de la Constitution de 1946, repris par la Constitution de 1958. Article qui se poursuit ainsi : la France en tant que République «assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.» Ainsi, elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion. C’est à dire que personne ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses.
Pour revenir à l’échange entre cette habitante de Drancy et Eric Zemmour, à ce jour aucune loi n’interdit le port de signes religieux dans l’espace public. Chacun est donc libre de porter un voile, une croix ou une kippa, pour ne citer que ces exemples sur la voie publique… Seules exceptions les tenues dissimulant entièrement le visage comme le niqab et la burqa.
Eric Zemmour estime que le voile est devenu un marqueur identitaire, il est partisan d’une laïcité de combat ; combat contre l’obscurantisme religieux. Sauf que, comme l’écrit Valentine Zuber, spécialiste de l'histoire de la liberté religieuse en Europe occidentale et de la laïcité en France, la laïcité instituée par la loi de 1905 n’est ni une laïcité de combat ou d’émancipation ni une laïcité de coopération (comme on le voit dans les pays anglo-saxons), mais une laïcité d’abstention : elle privilégie l’idée de l'inaliénabilité de la liberté de conscience, la neutralité de l’État impliquant son incompétence dans le domaine de la religion. Concrètement ce n’est pas à la loi d’interdire un comportement qu’on soupçonne ne pas être librement choisi.
Dans le cas présent, la femme défend son choix de porter ou non le voile. J’utilise le mot choix, car elle montre qu’elle peut l’enlever à tout moment et ce choix est garanti par la laïcité. Ne pas défendre ce principe, relève au fond d’une forme singulière de communautarisme. Pour conclure, suivant ce raisonnement, cette femme respectait la laïcité, aussi bien avant qu’elle n’enlève son voile, qu’après.