Alors que s’ouvre ce mercredi le procès des attentats du 13 novembre 2015, la question de la menace terroriste en France revient légitimement sur le devant de la scène. Sous quelle forme existe-t-elle ? Est-elle particulièrement forte aujourd’hui ? Des cibles sont-elles plus à risque que d’autres ?
Il y a deux mois, en juillet, le ministère de l’Intérieur Gérald Darmanin a envoyé une note aux préfets, les prévenant d’une menace terroriste accrue dans l’Hexagone. Un message en réaction à une vidéo diffusée sur Internet par des propagandistes d’al-Qaida, dans laquelle la France est accusée de mener une guerre contre l’islam. L’illustration que le pays reste une cible pour les groupes jihadistes.
Si la plupart des spécialistes s’accordent à dire que le risque terroriste venant de l’extérieur est nettement moins important que ce qu’il a pu être il y a plusieurs années, celui-ci existe néanmoins. «Il y a toujours des cellules à travers le monde qui veulent frapper l’Occident», rappelle Cédric Mas, président de l’institut Action Résilience, dont le dernier rapport «Le terrorisme djihadiste contre la France (2012-2021)» vient de sortir. «Des projets sont régulièrement montés et les autorités parviennent à les stopper».
Une menace de l'intérieur
Cependant, la menace principale est qualifiée d’endogène. C’est-à-dire portée par des personnes déjà présentes sur le territoire, sans appui d’une organisation basée à l’étranger. Il s’agit du profil souvent qualifié de «loup solitaire», bien qu’il soit rare que l’individu n’ait reçu aucune aide, volontaire ou non, dans son processus de passage à l’acte (fourniture d’armes, hébergement…).
Les derniers attentats survenus en France soulignent la prépondérance de cette forme de menace. En mai dernier, une policière était ainsi poignardée à mort à Rambouillet (Yvelines) par un Tunisien, arrivé dans le pays en 2009, inconnu des services mais dont la radicalisation semblait incontestable. En octobre 2020, trois personnes étaient tuées dans la basilique Notre-Dame de Nice (Alpes-Maritimes) par un autre immigré illégal tunisien, arrivé en France pour y travailler, selon sa famille. Quelques mois plus tôt, en avril, à Romans-sur-Isère (Drôme), un Soudanais, à qui le statut de réfugié avait été accordé en 2017, s’était attaqué mortellement à deux passants en criant «Allah Akbar». Si à chaque fois, les suspects sont étrangers, ils n’étaient pas initialement venus en France avec l’objectif de commettre leur acte et ne semblent pas (les enquêtes sont toujours en cours) avoir agi dans le cadre d’une action préparée par un groupe terroriste.
«Le problème de cette menace, c’est qu’elle ne repose plus sur une organisation dont on connaît les membres et que l’on peut surveiller et arrêter», détaille Cédric Mas. «Elle est très dispersée et donc différente d’un cas à l’autre».
La France mieux protégée qu'en 2015 ?
«Actuellement, on pourrait qualifier le risque terroriste de "menace fantôme" : elle n’est pas visible mais toujours là», poursuit-il. «Elle reste même plus élevée que ce que l’on pourrait croire». D’autant plus lorsque l’actualité est liée au sujet. Cela avait ainsi été le cas avec l’attaque de la basilique de Nice, au moment du procès de l’attentat contre Charlie Hebdo. Avec l’ouverture de celui du 13 novembre 2015, les craintes d’un passage à l’acte sont donc ravivées. Dernièrement, un fiché S de Noisy-le-Sec a par exemple été arrêté par les forces de l’ordre pour avoir commandé sur internet une kalachnikov et des munitions. Il possédait chez lui de nombreux textes jihadistes. A cette actualité française, Georges Fenech, ancien juge d’instruction et président de la commission d’enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre, ajoute également celle des 20 ans du 11 septembre. «Tout cela crée un contexte», abonde-t-il.
Preuve de cette crainte réelle, Gérald Darmanin a adressé aux préfets de Paris et des Bouches-du-Rhône un télégramme leur réclamant «un haut niveau de vigilance» pendant le procès. Une missive qui fait suite à une autre demande, il y a tout juste une semaine, concernant «un maximum de présence policière» devant les synagogues jusqu’à fin septembre, pour la durée du mois des fêtes juives. Le ministre de l'Intérieur a justifié cette missive en raison du «niveau très élevé de la menace terroriste». Il ne semble donc faire donc aucun doute que les autorités redoutent actuellement une attaque.
La communauté juive, les forces de l’ordre, les églises, peuvent en effet être considérées comme des cibles privilégiées en cas d’un passage à l’acte. Mais une attaque aussi massive et meurtrière que celle opérée au Bataclan il y a près de six ans pourrait-elle survenir à nouveau ? «Si tout le monde fait son travail, il n’y a pas de raison que ça recommence», rassure Cédric Mas. Tout en nuançant que l’on «ne sait jamais». «Aujourd’hui, en France, nous sommes mieux protégés qu’en 2015, oui», estime pour sa part Georges Fenech. «Mais on est encore loin du compte (…). Il faudra probablement une autre décennie avant de pouvoir dire "on a gagné une guerre". Pour l’instant on a gagné une bataille, sans doute. Mais pas la guerre».