Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
DIMANCHE 6 JUIN
Il n’y a rien à faire, j’ai beau ironiser, parfois, à propos d’abus d’anniversaires et de commémorations (cette manie si française), quand arrive le 6 juin, je ne peux m’empêcher de penser à cette prouesse militaire, à cet extraordinaire geste stratégique et organisationnel que fut le 6 juin 1944, le «jour le plus long». Le débarquement des forces alliées (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada – et aussi la France) sur les plages de Normandie. On ne peut pas dire que, cette année, on vous en aura beaucoup parlé. A peine quelques lignes, dans certains médias. Il eût été bienvenu, pourtant, que l’on rappelle la signification de cette réalité : des milliers de jeunes Américains, venus de l’Illinois, du Kansas, du New Jersey, de la Floride, à peine âgés de 20 ans, qui donnèrent leur vie pour libérer la France et l’Europe et ignoraient jusqu’à l’existence de ces noms, comme Ouistreham, Sainte-Mère-Eglise, pointe du Hoc, Cotentin, Calvados…
Lorsque je marche tranquillement dans la rue principale de Pont-l’Evêque, il m’arrive de penser à ces gamins. On a calculé que, entre le moment où ils sautaient des barges, les fameux LCVP (Landing Craft Vehicle & Personnel), pour se jeter à l’eau et atteindre le sable, ils avaient une espérance de vie de 7 secondes. C’est loin, me direz-vous, très loin. Peut-être, mais c’est inoubliable.
MERCREDI 9 JUIN
«Libération» était le mot-clé de cette époque révolue. Un mot quasi sacré. Le même terme, aujourd’hui, est sur toutes les lèvres, mais on l’utilise pour une actualité beaucoup moins exceptionnelle : l’ouverture des bars, restaurants, cinémas, stades, salles de concerts… On dirait que le simple bruit des verres qui s’entrechoquent, la petite musique des conversations aux terrasses, les files d’attente pour aller écouter du rock ou du classique, ont pris l’ampleur d’un événement capital. Fallait-il donc autant de morts, autant d’exploits et de sacrifices permanents de toute la communauté de santé en France, autant d’inventions, autant de créativité, autant de démonstrations de ce que les êtres humains sont capables de faire et de subir, pour que nous puissions nous extasier devant le retour de la banalité, de la routine, de la vie «normale» ? En vérité, rien n’est «normal». Tout est mystère.
JEUDI 10 ET VENDREDI 11 JUIN
Les pages de sport se tournent. Nous sommes entrés dans cette phase de l’année où le tennis précède le foot, qui précède le rugby, qui précède le vélo. C’est la grande valse des tournois, des défis. En tennis, il y a des champions qui ne veulent pas mourir (Federer-Nadal) et ceux qui souhaitent leur succéder (Zverev-Tsitsipas). En foot, ce rêve (accessible ?) des Bleus : remporter le championnat d’Europe après la Coupe du monde. En rugby, Toulouse fera-t-il son Grand Chelem, avec le bouclier de Brennus après la Coupe d’Europe ?
La parenthèse de la distraction ne peut occulter le mal qui court, celui de la violence verbale (Mélenchon), la violence du geste (l’imbécile qui gifle le président), la montée permanente des anathèmes, la dégradation des discours, l’exaspération des tendances – la culture de l’annulation, les minorités dites actives qui semblent dominer une majorité dite silencieuse. L’air du temps est contradictoire. D’une part, un retour à la vie «normale». D’autre part, les passions tristes et le goût insignifiant de l’excès, mais que réseaux sociaux et médias grossissent inutilement.
Cela n’a rien à voir avec ce qui précède, mais je vous recommande le Dictionnaire amoureux des arbres d’Alain Baraton (éd. Plon). J’ai rarement lu un «Dictionnaire amoureux» de cette célèbre collection aussi passionnant et révélateur. Un court exemple : «La preuve est faite que les arbres dorment. Peut-être qu’ils rêvent. La question sera de savoir à quoi ou à qui.»