Le meurtre de la jeune Alisha, 14 ans, battue et poussée dans la Seine par des camarades de classe, rappelle une fois de plus l’importance de la lutte contre le harcèlement dans les écoles, collèges et lycées. La souffrance des jeunes harcelés est d'ailleurs amplifiée par les réseaux sociaux, selon Jean-Pierre Bellon, spécialiste du harcèlement et professeur de philosophie.
En France, environ 700.000 enfants et adolescents sont touchés par ce phénomène, qui peut nuire gravement à leur scolarité, à leur santé et à leur état moral. Plusieurs drames ont ramené l’importance de la lutte contre le harcèlement scolaire au coeur des préoccupations de l'Etat, comme le suicide par pendaison de la jeune Evaëlle, 11 ans, en juin 2019, cible de moquerie et d’agressions physiques de la part de ses camarades, ou encore la tentative d'immolation par le feu de Jonathan, en 2011, alors qu’il avait 16 ans. Vient alors s’ajouter l’assassinat de la jeune Alisha, victime de harcèlement à l’école et sur internet.
Le propre du harcèlement scolaire, c’est «la répétition d’actions négatives sur une certaine durée, qui vient principalement de la part d’un groupe, qui va placer les victimes dans l’incapacité de se défendre par elles-mêmes», explique Jean-Pierre Bellon, auteur de plusieurs livres sur cette problématique. Cette dynamique est alors la majeure partie du temps causée par l’effet de groupe, et par un processus de mimétisme, qui fait que certains élèves reproduisent le comportement d’autres, peut-être pour être eux-aussi mieux acceptés par leurs pairs.
«Il y a un contraste saisissant entre la violence inouïe et la gravité des faits qui sont commis, et la personnalité tout à fait ordinaire, voire même parfois sympathique, de ceux qui les ont perpétrés», souligne le spécialiste, pour qui il n’y a donc pas de «profil type», des harceleurs ni des harcelés, ces violences étant commises dans tous les milieux sociaux. «C’est plutôt une mauvaise rencontre au mauvais moment», affirme-t-il.
Des conséquences psychologiques
À la violence, aux insultes et aux conflits à l’école, vient désormais souvent s’ajouter le harcèlement sur les réseaux sociaux. Dans le cas de l’affaire Alisha, la jeune fille avait été victime d’insultes sur internet, suite à la diffusion de photos privées. Or c’est là sans doute le côté de plus pervers du harcèlement, selon Jean-Pierre Bellon : «Le cyber-harcèlement complète le harcèlement scolaire. Il commence à l'école, il continue sur les réseaux sociaux, et il revient le lendemain matin à l'école. C'est une boucle infernale dont on ne sort jamais», résume-t-il. «Les réseaux sociaux font que l’adolescent n'a plus la moindre paix. Je ne sais pas si cela a augmenté au niveau des chiffres, mais en tous cas, ils ont amplifié la souffrance des victimes.»
Cette situation peut avoir de graves conséquences sur la santé physique et mentale des enfants. Le harcèlement scolaire peut en outre provoquer divers troubles chez l’enfant ou l’adolescent, notamment des angoisses, de l’anxiété, de la fatigue, et des troubles de concentration qui peuvent altérer les résultats scolaires. Selon une étude menée par l’Unicef en 2014, le harcèlement scolaire renforce aussi considérablement l’idée du suicide chez les adolescents (1,63 fois plus), et de même pour le cyberharcèlement (2,30 fois plus). Même constat pour les conduites à risque, notamment la consommation d’alcool (1,66 fois plus importante en cas de harcèlement) ou la consommation de drogue (1,94 fois plus).
Réagir dès la première moquerie
Si le harcèlement scolaire est au cœur des préoccupations de l’Education nationale aujourd’hui, ce n’est pas pour autant un phénomène nouveau, ni en augmentation. «Ce qu’il y a de troublant, c'est l'étonnante stabilité des chiffres. En 1980 on avait 10% d’élèves harcelés. Aujourd'hui on a encore 10%, en France mais toutes les enquêtes internationales le montrent aussi», analyse Jean-Pierre Bellon. Il n’y a donc pas de différence notable entre les décennies, mais une variable peut cependant faire drastiquement baisser ou augmenter le harcèlement à l’école : «dans les établissements qui ont une tolérance zéro envers les moqueries, et qui réagissent tout de suite quand ils sentent quelque chose, on tombe a zéro harcèlement. Dans les classes où on laisse faire, cela monte bien au-dessus de 10%. Il y a une corrélation directe», explique l’expert. «N'attendons donc pas que cela devienne du harcèlement, arrêtons les choses à la première moquerie, au premier écart», préconise-t-il.
Pour lutter contre ce phénomène, la France a déjà mis en place un certain nombre de mesures. En 2015, la ministre de l’Education nationale de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem, a lancé le 3020, numéro vert qui permet aux enfants victimes de harcèlement, mais aussi aux familles, de signaler ces abus, de manière anonyme ou gratuite. Ce dispositif permet aussi d’entrer en contact avec les référents harcèlement de l’académie de l’établissement dans lequel le jeune est scolarisé, afin d'entamer des démarches auprès des écoles. En cas de harcèlement sur internet, il est aussi possible de contacter la ligne Net Ecoute, joignable au numéro 0 800 200 000, qui vient en aide aux jeunes dans leurs pratiques d'internet et des outils numériques.