Elle vient se rappeler à notre souvenir. Alors que le Premier ministre Jean Castex a rouvert, hier, un nouveau cycle de concertations avec syndicats et patronat, initialement non prévues à l'agenda officiel, un dossier refait parler de lui : celui de la réforme des retraites.
Après avoir reçu jeudi matin François Asselin, le président de la CPME, l'organisation patronale des petites et moyennes entreprises, le chef du gouvernement doit s'entretenir, ce vendredi après-midi, avec le patron du syndicat CFDT Laurent Berger, avant d'autres rendez-vous la semaine prochaine.
D'après Matignon, contexte pandémique oblige, l'essentiel des discussions devait tourner autour des dispositifs (chômage partiel, télétravail...) mis en place durant la crise. Mais il était clair que les partenaires sociaux ne pouvaient pas laisser passer l'occasion d'évoquer l'épineux dossier des retraites, qui, avant le coronavirus, était le principal sujet du moment en France.
Une réforme au point mort
Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, le régime universel de retraites par point est aujourd'hui totalement bloqué. Certes, le projet de loi ordinaire a bien été adopté le 4 mars dernier à l'Assemblée, mais son parcours législatif a depuis été complètement mis à l'arrêt en raison de la crise sanitaire, reportant tout le texte sine die.
Le dernier épisode rocambolesque, en somme, d'une réforme décidément dès le départ mal embarquée. Aux dix-huit mois de concertation sociale sous l’égide de Jean-Paul Delevoye - poussé vers la sortie pour un «oubli» dans sa déclaration d’intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - ont ainsi succédé une consultation citoyenne, trois mois de grève à la SNCF et à la RATP à la fin de l'année 2019, puis, enfin, une conférence de financement mort-née en raison du premier confinement du printemps.
Un terrain sanitaire et social instable
Pourtant, si les discussions reprennent à présent et qu'une réforme des retraites est, pour beaucoup, nécessaire, rares sont ceux qui souhaitent la voir tout de suite remise sur les rails.
Au premier rang des opposants figurent les syndicats bien sûr dont la plupart n'ont jamais adhéré au projet. Même la CFDT, pourtant favorable au système universel, apparaît aujourd'hui pour le moins circonspecte au vu de la situation épidémique. Dans ce contexte, la visite à Matignon de Laurent Berger ne doit rien au hasard.
Dans un pays déjà chauffé à blanc sur le front sanitaire et social, l’exécutif lui-même ne semble pas vraiment prêt à remettre l'ouvrage sur le métier de peur de rallumer l'incendie. «Il faut voir ce qu'il est possible de faire ou de ne pas faire», dit-on ainsi, prudent, dans l'entourage de Jean Castex. Et, signe des temps, Emmanuel Macron lui-même n'a pas parlé de la réforme des retraites, lors de ses voeux le 31 décembre dernier.
Des finances dans le rouge
Reste une voix, et non des moindres, qui plaide au contraire pour une rupture sans plus attendre du statu quo. Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, ne cesse de rappeler, à juste titre d'ailleurs, que la crise du Covid-19 a aggravé la situation financière du régime. Il est rejoint en cela par les chiffres implacables du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui, pour la seule année 2020, évalue le déficit des retraites à 23,4 milliards d'euros.
Encore mercredi soir, le patron de Bercy répétait sur la chaîne Paris Première «qu'il faut une réforme des retraites (...) non pas pour pénaliser les Français, (mais) tout simplement parce que nous vivons plus longtemps, (...) pour que demain nos enfants aient le même niveau de vie que nous».
Mais si Bruno Le Maire continue de croire en un hypothétique «retour de la croissance», celui-ci apparaît de plus en plus incertain dans l'immédiat et les marges de manoeuvre minces. Parmi les pistes avancées pour retrouver l'équilibre, une autre organisation d'experts, le Comité de suivi des retraites (CSR), évoque notamment le niveau d'indexation des pensions.
Envoyer un signal politique
En clair, la baisse des pensions de retraites moyennes par rapport aux actifs. Sauf si le gouvernement ne se décide à jouer sur l’âge de départ a la retraite, «pour lequel une marge d’ajustement subsiste», estime le comité. Une idée cohérente sur le papier mais là encore potentiellement explosive.
Enfin, demeure une autre piste, en guise toujours de pari sur l'avenir, mais cette fois sur le terrain politique. En l'état, la reprise des discussions sur la réforme des retraites pourrait surtout constituer un signal fort envoyé à l'électorat macroniste qui, précisément, avait élu Emmanuel Macron pour ses volontés réformatrices.
Une façon, en quelque sorte, de leur dire que si la réforme est actuellement bloquée, il n'est pour autant pas question de la jeter aux oubliettes. D'ailleurs, à en croire Le Figaro, les proches du chef de l'Etat, soit le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand et le président de la commission des Affaires économiques de la chambre basse Roland Lescure, ne cessent de répéter en coulisses que ce serait une «excellente première réforme du deuxième quinquennat».