Un vaccin début 2021 ? Il y a quelques mois, l'objectif semblait irréalisable. Mais les récentes annonces des laboratoires ont changé la donne. Le Covid-19 pourrait bien être éradiqué... Ou pas. Car en France, la réticence à la vaccination persiste.
Seulement 54% des Français seraient prêts à se faire vacciner contre le coronavirus, selon un sondage Ipsos publié en octobre. Et ce alors que la pandémie a déjà tué plus de 47.000 personnes.
Le chiffre peut paraître surprenant. Mais selon Laurent-Henri Vignaud, historien co-auteur d'Antivax : la résistance aux vaccins du XVIIIème siècle à nos jours, il est en réalité plutôt normal. «L'antivaccinisme a toujours existé. Il y a beaucoup de motivations ordinaires à ça», indique-t-il. «Certaines personnes pensent qu’il faut accepter la maladie, d’autres que les vaccins sont toxiques, d’autres encore qu’ils sont inefficaces...».
«Les Français se souviennent aussi de leurs déceptions antérieures», ajoute Mounia Hocine. Cette biostatisticienne spécialisée dans le suivi des effets secondaires des vaccins prend l’exemple du vaccin ROR (Rougeole, oreillons, rubéole) soupçonné de causer l’autisme. De telles polémiques participent au manque de confiance envers les vaccins. Et par la même occasion, envers les institutions qui les autorisent.
Contexte propice à la méfiance
L'antivaccinisme reste cependant minoritaire. «Les antivax ne peuvent avoir d’audience qu’à l’occasion de phénomènes très particuliers», explique Laurent-Henri Vignaud. «Par exemple, lorsque le Parlement vote pour rendre un vaccin obligatoire.» Ou alors : lorsque que survient une pandémie de Covid-19.
L’ère actuelle est en effet propice à la méfiance, et ce pour plusieurs raisons. Les vaccins élaborés par Moderna et Pfizer utilisent tous les deux la technique de l’ARN-messager. Celle-ci est novatrice, donc inquiétante pour certains. En plus de ça, ces vaccins ont été conçus en un temps record : «Connaissant les délais qui sont d’habitude nécessaires pour réaliser un vaccin, il est normal que les Français s’inquiètent», explique Mounia Hocine. Sans compter que le gouvernement français n’a pas encore répondu à une foule de questions. Quel vaccin sera choisi ? En quelles quantités sera-t-il distribué ? Quelles populations seront concernées ? «On est dans le flou total», résume Laurent-Henri Vignaud.
Minorité complotiste
Un flou qui donne aux antivaccinistes plus de visibilité. Selon Julien Giry, docteur en sciences politiques et spécialiste du complotisme, la pandémie constitue pour ces militants une véritable «fenêtre d'opportunité», grâce à laquelle ils peuvent se faire entendre.
On retrouve alors des arguments classiques : le vaccin anti-covid va provoquer des effets secondaires (pour justifier leur refus du vaccin, ils sont 43% à invoquer cette raison, selon la Fondation Jean Jaurès) ou encore, le vaccin sera inefficace (63%).
Mais d'autres explications plus marginales sont avancées. Et notamment les explications complotistes. La théorie la plus populaire est celle d'une puce intégrée au vaccin qui permettrait au gouvernement de tracer la population.
«Normalement, à l’intérieur du mouvement antivax, la dimension complotiste est ultra minoritaire», rappelle Laurent-Henri Vignaud. «Mais là, la galaxie antivax a rencontré la galaxie complotiste. Il y a des gens qui se fichent du vaccin d’habitude, et qui s’y intéressent maintenant parce que ça entre dans leur logique globale de complot autour du Covid-19».
Selon Julien Giry, l’émergence de toutes ces théories est compréhensible. Elles permettent aux personnes qui y adhèrent de trouver du sens, dans une période qui est extrêmement difficile à vivre. «C’est une volonté de prendre le contrôle sur la situation», précise-t-il. «Actuellement, c’est la cacophonie. La théorie du complot fournit une explication simple, elle rassure, et donne l’illusion de comprendre.»
Une illusion qui se transforme alors en piège. «Les complotistes se mettent à douter de tout, tout le temps», résume Julien Giry. «En fait, ils doutent de tout, sauf du complot.»
Les Français «Troublés et hésitants»
Attention cependant : les antivaccinistes complotistes sont rares. Encore plus rares que les antivaccinistes «classiques».
«Ma thèse», explique Laurent-Henri Vignaud, «c’est qu'une grande partie de la population est simplement troublée ou hésitante. Elle cherche des réponses.»
Il y aurait alors d'un côté des antivaccinistes convaincus, souhaitant populariser leur discours, et de l'autre, des Français méfiants parce qu'en manque d'informations.
Pour inciter cette population à se faire vacciner, il faudrait donc dissiper l'incertitude qui entoure le nouveau vaccin. «Par exemple, l’ANSM (Agence Nationale de la Sécurité du Médicament) devrait expliquer le protocole qu’elle compte mettre en place pour surveiller les effets secondaires», propose Mounia Hocine.
La vaccination constitue selon elle «un devoir citoyen». Mais les Français ne le rempliront que s'ils sont «rassurés». Et pour cela, Mounia Hocine est catégorique : «Il faut des informations concrètes.»