Si les gilets jaunes avaient une date d'anniversaire, ce serait sans doute le 17 novembre. Ce jour-là, en 2018, l'acte I de leur mobilisation rassemblait plus de 280.000 personnes dans toute la France. Deux ans après, à l'heure de la crise sanitaire et du confinement, que reste-t-il de cet élan ? La vague jaune pourrait-elle revenir ?
Certaines figures du mouvement de l'époque assurent, notamment sur les réseaux sociaux, que l'engagement reste le même. Jérôme Rodrigues, qui a perdu un oeil lors d'une manifestation le 26 janvier 2019, laisse même entendre que la crise du coronavirus n'a fait que renforcer sa colère. Il évoque une «répression» désormais «renforcée par la mise en place d'une dictature sanitaire».
Pourtant, l'appel national lancé aux gilets jaunes pour un grand retour, le 12 septembre dernier, n'a pas été entendu. Environ 6.000 manifestants ont été comptabilisés dans tout le pays ce jour-là, dont 2.500 à Paris. Mais certains réseaux issus des gilets jaunes existent toujours, selon Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférence en sciences politiques à l'Université de Montpellier.
Auteure d'une «Etude sur les gilets jaunes. Enquêter in situ par questionnaire sur une mobilisation», la chercheuse assure que des liens très forts ce sont créés entre certains militants. Si bien que «les collectifs les mieux structurés, qui ont noué les contacts les plus forts, se maintiennent. Ils utilisent beaucoup la métaphore de la famille».
Quelques-uns ont même vu leur vie transformée en «appartenant à un collectif». Emmanuelle Reungoat mentionne par exemple avoir suivi le parcours de manifestantes mères célibataires qui, aujourd'hui encore, s'entraident. Cela représente une certaine poursuite de la mobilisation, «au niveau individuel».
Une «convergence des luttes»
D'autres ont aussi mis les ressources militantes acquises dans les cortèges de gilets jaunes au profit d'autres causes. La maîtresse de conférences parle d'une certaine «convergence des luttes», notamment en faveur de l'environnement avec Youth for climate, ou contre la réforme des retraites. Certains réseaux ont également poursuivi leur combat, mais à l'échelle locale. Alors même que, pour beaucoup, le mouvement des gilets jaunes constituait leur premier engagement militant.
Cela signifie-t-il que la vague jaune a toutes ses chances de réapparaître ? A l'heure actuelle «le confinement et les politiques du gouvernement rendent plus difficile toute mobilisation», souligne Emmanuelle Reungoat. D'un autre côté, «sur le fond, les revendications des gilets jaunes sont toujours d'actualité et il est possible que la crise les touche particulièrement puisque beaucoup sont issus de la classe moyenne, voire de la précarité».
«La première fois, il y a eu ce déclencheur de la taxe sur l'essence, rappelle l'universitaire. Des gens en ont vu d'autres, qui leur ressemblaient, sur des ronds-points. Ça leur a ouvert la possibilité d'une mobilisation à eux, sans parti politique ni syndicat, qui sont sources de défiance.» Les circonstances étaient donc propices et on pourrait considérer qu'elles le sont à nouveau, en raison de la crise sanitaire. Mais, un mouvement pareil, «c'est coûteux», tempère Emmanuelle Reungoat, qui se souvient que les gilets jaunes sont restés mobilisés pendant des mois.
Alors, sans pouvoir en être certaine a priori, la chercheuse estime que «le mouvement s'est déjà transformé et ne réapparaîtra pas sous la même forme». Peut-être s'exprimera-t-il d'une autre façon, dans «d'autres types d'action», ou même à l'échelle locale plutôt que nationale. Mais sans doute pas tel qu'on l'a connu.