Premiers au monde à avoir utilisé cette méthode, les scientifiques du laboratoire d'Eau de Paris traquent la présence du coronavirus dans les eaux usées de la capitale. Ils se servent de leurs mesures pour évaluer la progression de l'épidémie, qu'ils ont vu reprendre depuis de longs mois déjà.
Dès le début de l'épidémie en Chine, le laboratoire d'Eau de Paris a mis en place le «projet Obepine», qui vise à déceler le Sars-CoV-2 dans les eaux usées de la capitale. Des capteurs présents dans 4 stations d'épuration, ainsi que des prélèvements ponctuels à d'autres endroits du réseau, cherchent des traces de génome du virus dans les eaux provenant directement des toilettes des Parisiens. Résultat : plus il y a de personnes contaminées, plus elles excrètent du virus, dont la concentration augmente alors dans les eaux usées.
Une méthode d'autant plus intéressante qu'elle pourrait se révéler «prédictive», en permettant d'évaluer le niveau épidémique sans avoir à attendre les indicateurs classiques, remontés plus tard, comme les taux de positivité et d'incidence, puis les hospitalitions et les entrées en réanimation. Le laboratoire d'Eau de Paris avait ainsi vu apparaître le début de l'épidémie sur ses écrans début mars, «avant même que 100 cas de Covid-19 ne soient diagnostiqués en Ile-de-France», avait expliqué l'organisme en mai dernier.
Une lente augmentation tout l'été
Depuis, les scientifiques se posaient la question de savoir si la situation se répèterait. Réponse : «oui, nous avons vu commencer la 2e vague fin juin», confie ce vendredi 13 novembre à CNews Vincent Maréchal, l'un des co-fondateurs du projet Obepine, et professeur de virologie à l'université de la Sorbonne.
«Nous n'avons plus détecté de virus entre le 11 mai et jusqu'au 20 juin. Puis, le génome est réapparu, d'abord dans certaines stations, et ensuite dans toutes celles d'Ile-de-France. Nous avons vu les quantités augmenter lentement tout l'été», indique le scientifique. Désormais, les niveaux sont «quasiment comparables à ceux niveaux du mois de mars», précise Vincent Maréchal.
Dans le détail, les capteurs servent à analyser le nombre «d'unités-génome» de coronavirus par litre d'eau usée. Pour avoir un ordre d'idée, au début du premier confinement le 17 mars, le laboratoire d'Eau de Paris détectait en moyenne 1 million «d'unités-génomes» par litre. Cette concentration a continué à progresser, pour atteindre un pic, fin mars, à 10 millions «d'unités-génomes» par litre. Elle est ensuite redescendue, et courant juin, on ne trouvait plus que 8.000 «unités-génomes» en moyenne par litre d'eau usée.
«Actuellement, nous sommes aux alentours de 800.000 "unités-génomes"», indique Vincent Maréchal. Cet indicateur ne permet toutefois pas encore de faire apparaître le «frémissement», évoqué notamment par Olivier Véran. Une éventuelle perte de vigueur de la propagation du Covid-19 semble en effet se dessiner ces jours-ci en région parisienne.
Les dernières mesures réalisées par le laboratoire, dont le traitement nécessite un temps conséquent, remontent en effet au lundi 2 novembre. Analysées le vendredi 6 novembre, «elles ne laissent pas deviner de phénomène explosif à la hausse ou à la baisse», interprète provisoirement Vincent Maréchal. Le co-fondateur du projet Obepine revendique «une grande prudence» dans ses observations et attend donc «les prochains résultats, dans les jours à venir», avant de conclure à «une diminution significative» de la concentration de coronavirus.
En raison du décalage «de 2 à 3 semaines» entre l'entrée en vigueur des mesures gouvernementales et leur impact sur la population, seuls les effets du couvre-feu mis en place le 17 octobre se feraient d'abord sentir. Il faudrait donc patienter jusqu'à fin novembre pour que le laboratoire d'Eau de Paris donne une idée de l'efficacité du reconfinement. «Il est probable que le confinement actuel, plus léger, entraîne un ralentissement de l'épidémie plus mou. C'est comme en voiture : en mars, nous avions appuyé violemment sur le frein. Cette fois, nous le faisons plus doucement, donc nous risquons de décélerer moins vite», analyse Vincent Maréchal.
La méthode d'analyse étendue à toute la France
Dans tous les cas, cette méthode d'analyse de la propagation est appelée à vite se répandre hors de Paris. Avec une dotation de 3 millions d'euros fournie par le ministère de la Recherche et de l'Innovation en juin, le projet Obepine travaille depuis cet été activement à un déploiement sur toute la France. Environ 150 stations d'épuration (sur les 22.000 que compte l'Hexagone) ont été identifiées pour accueillir des capteurs de surveillance épidémique, désormais en cours d'installation. L'objectif est d'y réaliser deux prélèvements par semaine.
Des laboratoires capables de les analyser sont parallèlement recherchés, tandis qu'une plateforme numérique sécurisée a été créée. Les données y seront stockées, puis, une fois analysées, transmises au ministère de la Santé, explique Vincent Maréchal.