Il vient s'ajouter à la longue liste des usages menacés par la pandémie de coronavirus : cette année, le stage de 3e a des allures de parcours du combattant. Obligatoire depuis 2005, le ministre de l'Education nationale l'a pourtant déclaré «facultatif», le 14 octobre dernier. Il répondait ainsi à la demande de plusieurs sénateurs soulignant l'incapacité des entreprises à respecter un tel engagement en période de crise.
Comment cela se traduit-il dans les collèges ? Bien que facultatif, le stage de 3e, qui doit être réalisé entre décembre et mars, reste «très souhaitable», selon les mots de Jean-Michel Blanquer. Seulement voilà : les recherches des collégiens aboutissent souvent sur un refus. «Nous n'avons pas fait d'enquête au niveau national mais beaucoup de parents nous ont alertés, indique Cécile Frattaroli, porte-parole de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep). Des questions à ce sujet nous ont été posées dès la rentrée parce que, dans certains collèges, les 3e doivent faire leur stage dès décembre. Chacun a essayé de faire marcher son réseau et beaucoup ont trouvé portes closes.»
“Le caractère obligatoire du stage de 3è en entreprise peut être gênant cette année, je vais donc répondre favorablement à votre demande” - @jmblanquer sur l’annulation des stages obligatoires en entreprise#QAG #DirectSénat pic.twitter.com/0dQJFeYLMj
— Sénat (@Senat) October 14, 2020
Les choses se corsent encore davantage pour ceux qui vivent là où la circulation du coronavirus est forte mais, même ailleurs, on reste sur ses gardes. La Charente-Maritime est un département en vulnérabilité modérée et pourtant, Audrey Chanonat, principale adjointe du collège Samuel-de-Missy à La Rochelle, voit certains de ses 3e en difficulté. Membre de l'exécutif du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN), elle estime qu'il est «difficile de dire si cela concerne certains secteurs plus que d'autres. Nous avons connu des refus en boulangerie, en clinique vétérinaire ou même dans une structure d'architectes. Les entreprises sont un peu frileuses à cause du contexte sanitaire, ce que je peux comprendre».
Ces professionnels peinent non seulement à se remettre des mois précédents, mais aussi à se projeter dans ceux qui viennent. «Certains stages sont prévus en janvier, que se passe-t-il si nous sommes reconfinés d'ici là ?», s'interroge Cécile Frattaroli. De plus, si les entreprises ont été «plus ou moins impactés par le Covid, selon l'activité et le secteur géographique», globalement, «nous sommes en période de gestion de crise, ajoute Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l'association nationale des DRH (ANDRH). Chez certains, l'activité économique reprend seulement, la charge de travail est importante, sans compter que les protocoles sanitaires et le recours au télétravail entraînent une présence réduite sur site».
En d'autres termes, après des mois de pandémie, les entreprises n'ont, pour beaucoup, pas les ressources pour accueillir des stagiaires. «Ils viennent pour observer et découvrir, ils ont besoin qu'on leur consacre du temps, insiste la DRH. C'est une première immersion dans le monde du travail qui est importante, à condition que l'on puisse s'occuper d'eux correctement. Un stage de 3e dans ces circonstances leur donnerait sans doute une mauvaise première image de l'entreprise. Or, ce sont les futurs collaborateurs de demain, il faut que ce soit une expérience positive».
Un accompagnement renforcé
Alors on abandonne le stage de 3e cette année ? Pas forcément. Audrey Chanonat, en tout cas, n'a pas dit son dernier mot. Même si la semaine d'observation de ses élèves n'est prévue que pour janvier, elle a déjà décidé de renforcer leur accompagnement. Le «référent décrochage» est présent deux heures de plus par semaine pour aider les collégiens dans leurs recherches et des personnes en services civiques tiendront bientôt des permanences pour leur apprendre à contacter les entreprises et à écrire leurs lettres de motivation.
Malgré tout, la principale ajointe ne se fait pas d'illusion : «On n'arrivera pas à trouver un stage pour tout le monde». La décision de Jean-Michel Blanquer, qui rend l'expérience facultative, évitera aux moins chanceux d'être sanctionnés. Mais, dans les faits, la situation sera source d'inégalités. «Ce stage est important pour ceux qui visent des voies professionnelles plutôt que le bac et l'université, explique Audrey Chanonat. Le problème c'est que ce sont généralement les mêmes, les élèves les plus fragiles, qui ont le plus de difficultés à trouver une entreprise. Parce qu'ils ne disposent pas du même réseau ou du même accompagnement que d'autres».
En annonçant le caractère facultatif du stage de 3e cette année, le ministre de l'Education nationale a précisé que, s'il n'avait pas lieu, il devait être compensé par «des initiatives en matière d'orientation et d'information». Il a évoqué «des modules vidéo» ainsi que «des formations sur le monde du travail et les possibilités d'orientation». Des propositions qui laissent Audrey Chanonat sceptique, autant sur leur faisabilité que sur les attentes qui en découleront. «Des actions d'orientation dans l'établissement ne remplaceront pas un premier contact en entreprise», juge la principale adjointe, qui attend malgré tout «des directives» plus précises.
De son côté, Laurence Breton-Kueny tient à rester positive. Elle espère notamment que ceux qui n'auront pas pu effectuer leur stage fin 2020 auront la possibilité de retenter leur chance début 2021, quand «la situation sera peut-être différente». En tant que DRH, elle insiste sur le caractère enrichissant des recherches, au-delà du seul stage. «Ils apprennent à faire leur CV, à écrire une lettre de motivation et à prendre contact avec les entreprises. Ce travail là est important et ne doit pas être négligé».
Selon elle, cette période de crise doit être l'occasion de faire preuve d'imagination, pour trouver des alternatives. «A condition d'être masqués, nous pourrions nous déplacer, avance-t-elle. Il serait même possible de faire intervenir un expert dans une classe par visioconférence. Les élèves auraient l'occasion de poser leurs questions et le professeur se chargerait d'animer cette rencontre». Face au coronavirus la solution pourrait donc être d'inverser le rapport : pour une fois, il reviendrait aux entreprises de rendre visite aux élèves et non l'inverse.